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national. Toute la salle fut debout eu une seconde, et le magnifique chant résonna dans nos cœurs comme un appel de la patrie. Je ne crois pas avoir jamais entendu chanter La Marseillaise avec une émotion et un ensemble plus poignants.

Aussitôt le chant terminé, les applaudissements de la foule reprirent par trois fois ; puis, sur un geste net du gouverneur, l’orchestre joua le God save the Queen.

Je ne vis jamais geste plus orgueilleux et plus digne que celui du marquis de Lorne, quand il fit signe au chef d’orchestre. Il voulait bien permettre, à ces fils de Français soumis, un regret, voire même une falote espérance. Et. le premier, debout, il écoutait cette grande plainte avec respect ; mais il en étouffait le dernier écho sous le chant national de l’Angleterre.

Et il avait, étant Anglais, indiscutablement raison.


Je donnai, pour la dernière représentation qui tombait le 25 décembre, jour de Noël : Hernani.

L’évêque de Montréal fulmina encore contre moi, contre Scribe, Legouvé et les pauvres artistes venus avec moi, qui n’en pouvaient mais. Je ne sais même pas s’il ne réclama pas l’excommunication contre nous tous, vivants et morts. Pour répondre à son injurieuse attaque, les admirateurs de la France et de l’art français dételèrent mes chevaux, et mon traîneau fut presque porté par une foule immense, dans laquelle se trouvaient des députés et notables de la ville. Il n’y a qu’à prendre les journaux de l’époque pour se convaincre de l’effet foudroyant que fit cette conduite triomphale à mon hôtel.

Le lendemain, dimanche, je partis le matin à sept heures pour faire, en compagnie de Jarrett et de ma