Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/591

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charmante ville, et je la quittai avec regret pour me rendre à Philadelphie, où nous devions passer une semaine.

Cette ville, fort belle, ne me plaît pas. J’y reçus un accueil enthousiaste malgré le changement de spectacle à la première soirée : deux artistes ayant manqué le train, nous ne pûmes jouer Adrienne Lecouvreur, que je dus remplacer par Phèdre, seule pièce dans laquelle les retardataires ne jouaient pas. Il y eut vingt mille francs de moyenne dans les recettes des sept représentations données en six jours.

Mon séjour fut attristé par une lettre qui m’apprenait la mort de mon ami Gustave Flaubert, l’écrivain le plus soucieux de la beauté de notre langue.


De Philadelphie nous nous rendîmes à Chicago.

A la gare, je fus reçue par une députation des dames de Chicago, et un bouquet de fleurs rares me fut remis par une ravissante jeune femme, Madame Lily B... Jarrett m’entraîna ensuite dans une des salles de la gare où m’attendaient les Français délégués.

Un speech très court, mais plein d’émotion, de notre consul mit tout le monde en confiance et amitié ; et, après avoir remercié de tout mon cœur, je me préparais à sortir de la gare, quand je restai médusée — et il paraît que mes traits prirent une expression si intense de souffrance, que tout le monde se précipita vers moi pour me porter secours. — Mais une rage subite électrisa tout mon être, et je marchai droit vers l’horrible vision qui venait de se dresser devant moi : l’homme à la baleine !

Il était vivant, cet horrible Smith ! Couvert de fourrures, avec des diamants à tous les doigts. Et il