Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/592

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était là avec un bouquet à la main, l’horrible brute ! Je refusai les fleurs, et le repoussai de toutes mes forces décuplées par la colère ; et un flux de paroles affolées s’échappa de mes lèvres blêmies. Mais cette scène le ravit, car elle fut racontée, colportée, amplifiée, et la baleine eut encore plus de visiteurs.

Je me rendis à Palmer-House, un des plus magnifiques hôtels de cette époque, dont le propriétaire, M. Palmer, était un parfait gentleman, courtois, aimable et généreux, car il emplissait l’immense appartement que j’occupais des fleurs les plus rares et il s’ingéniait à me faire servir à la française, chose difficile à cette époque.

Nous devions rester quinze jours à Chicago. Le succès dépassa les prévisions de tous. Ces quinze jours me parurent les plus agréables depuis mon arrivée en Amérique. D’abord, la vitalité de la ville dans laquelle se croisent, sans jamais s’arrêter, des hommes au front barré par une pensée : le but. Ils vont, ils vont, ne se retournant ni à un cri, ni à un appel de prudence. Ce qui se passe derrière eux, peu leur importe. Ils ne veulent pas connaître le pourquoi du cri poussé ; et ils n’ont pas le temps d’être prudents ; le but les attend.

Les femmes, ici comme dans toute l’Amérique, ne travaillent pas ; mais elles ne flânent pas dans les rues comme dans les autres villes : elles marchent vite ; elles aussi sont pressées d’aller s’amuser.

Je m’en allais toute la journée, loin dans les campagnes d’alentour, pour ne pas rencontrer les hommes sandwiches annonçant la baleine.

Un jour, je me rendis à la tuerie des porcs. Ah ! l’horrible et magnifique spectacle ! Nous étions trois : ma sœur, moi et un Anglais de mes amis.