Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/600

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samedi, il était cinq heures, tout était noir, éteint, clos ! Je rentrai à l’hôtel et fis part de mon mécontentement à Jarrett, qui me dit tranquillement : « Qu’est-ce que cela fait, Madame ? Il y a un tas de jeunes filles qui portent lunettes. Quant à la pipe, le bijoutier m’a dit qu’il avait reçu cinq commandes et que cela allait devenir à la mode. Du reste, il est inutile de vous fâcher : l’exposition est finie, on vous rend vos bijoux ce soir, et nous partons après-demain. »

En effet, le soir même le bijoutier me rendait mes bijoux remis à neuf, brillants, clinquants et réparés. Il y avait un porte-cigarettes en or orné de turquoises, le même qu’il avait exposé. Je ne pouvais rien faire comprendre à cet homme, et ma colère fondit devant sa bonne grâce et sa joie.

Mais cette réclame faillit nous coûter la vie, car, alléchés par tant et tant de bijoux dont la plupart n’étaient pas à moi, quelques mauvais drôles s’assemblèrent dans le but de me voler mes bijoux, qu’ils pensaient être dans le grand sac que portait toujours mon intendant.

Le dimanche 30 janvier, à huit heures du matin, nous quittions Saint-Louis pour Cincinnati. J’étais dans mon Pulman-car, magnifiquement aménagé. J’avais demandé que ma voiture fût la dernière de notre petit train spécial, afin de pouvoir jouir, sur la plate-forme, de la beauté de la nature, qui se déroulait devant moi en panorama toujours changeant, vivant, admirable.

Nous étions partis depuis dix minutes à peine, quand l’homme de garde se pencha subitement au-dessus du petit balcon, puis, se redressant vivement, il me prit la main et, très pâle, très anxieux, il me dit en