Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/608

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assis, avant de lui mettre le garrot : » Ma mère, je viens te rejoindre, et tu vas dire devant moi qu’ils en ont menti ! » Ces mots, prononcés d’une voix vibrante, en espagnol, me furent traduits par un attaché à l’ambassade d’Angleterre, avec qui j’étais venue voir ce hideux spectacle.

Le malheureux homme cria cela d’une voix si sincère, si déchirante, qu’il était impossible qu’i’ne fût pas innocent. C’était du reste l’avis de tous ceux qui étaient avec moi.

Les deux autres exécutions auxquelles j’assistai eurent lieu à Paris, place de la Roquette. L’une était l’exécution d’un jeune étudiant en médecine, je crois, qui, aidé d’un camarade, avait tué une vieille marchande de journaux. C’était un crime odieux, stupide ; mais cet homme était plus fou que coupable. Il était d’une intelligence supérieure et avait passé ses examens avant l’âge. Il avait trop travaillé. Il avait le cerveau dérangé. Il fallait le mettre au vert, le soigner comme un malade, le guérir et le rendre à la science.

C’était un être supérieur. Je le vois encore : pâle, le regard perdu dans l’infini. Ses yeux étaient si tristes, à ce malheureux enfant ! Oui, je sais bien. Il avait égorgé une pauvre vieille femme sans défense. C’est odieux ! Mais il avait vingt-trois ans, le cerveau détraqué par l’étude, une ambition démesurée ; et l’habitude de découper des bras, des jambes, de dépecer des cadavres de femmes, d’hommes et d’enfants. Tout cela n’excuse pas l’action abominable de cet homme ; mais tout avait pu contribuer à déséquilibrer un sens moral peut-être très ébranlé par l’étude, la misère ou l’atavisme.

Eh bien, je trouve qu’on a commis un crime de lèse-