Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/618

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou un chien s’était introduit dans sa malle, et il souleva le faible rempart. Deux serpents... se disputaient ou s’aimaient... il ne put le dire ; deux serpents de taille suffisamment imposante pour terrifier les personnes attirées par les cris du pauvre figaro.

Il était fort pâle encore quand je le vis monter sur le bateau qui devait nous conduire à notre train. Je l’appelai et le priai de me raconter l’odyssée de sa terrible nuit ; et, me montrant dans le cours de son récit sa lourde jambe : « Ils étaient gros comme ça, Madame, oui, comme ça... » et il grelottait de peur au rappel de l’effroyable grosseur des reptiles. Je pensai qu’ils étaient gros comme le quart de sa jambe, ce qui suffisait encore à justifier son effroi, car ceux-là n’étaient pas d’inoffensifs serpents d’eau, qui mordent par méchanceté, mais sont sans venin


Nous arrivâmes à Mobile assez tard dans la journée. Nous avions déjà stoppé dans cette ville en nous rendant à New-Orléans ; et j’avais eu une véritable crise de nerfs provoquée par le sans-gêne des habitants qui, malgré l’heure de nuit avancée, m’avaient délégué une députation : J’étais morte de fatigue et commençais à m’endormir dans mon lit du car. Je refusai donc avec énergie de voir qui que ce soit. Mais ces gens frappaient à mes carreaux, chantaient autour de mon wagon ; enfin, m’exaspéraient. J’ouvris violemment une des fenêtres, et je leur jetai un pot d’eau à la tête. Femmes et hommes, parmi lesquels des journalistes, furent inondés. Et grande fut leur fureur.

Je revenais donc dans cette ville précédée de cette histoire enjolivée à leur profit par les reporters arrosés. Mais il y avait, en revanche, ceux plus courtois qui