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nous jeter des boules de neige, et ce fut une guerre générale. Abbey, Jarrett, le secrétaire et quelques artistes s’étaient joints à nous, et nous fûmes réchauffés par cette petite bataille à boulets blancs.

L’aube se levant nous trouva tirant des coups de revolver et de colt sur une cible faite avec une caisse de champagne. Enfin, un bruit lointain très assourdi par l’ouate de la neige nous fit comprendre qu’on venait à notre secours.

En effet, arrivaient à toute vapeur, dans le sens inverse, deux locomotives chargées d’hommes, de pioches, de crocs, de pelles. Elles durent arrêter leur vitesse en approchant à un kilomètre de nous, et les hommes descendirent, déblayant la route devant elles. Enfin elles réussirent à nous rejoindre. Mais nous dûmes faire route en arrière et prendre le chemin de l’ouest.

Les malheureux artistes, qui pensaient déjeuner à Chicago où nous devions arrêter à onze heures, se lamentaient, car nous ne devions arriver avec ce nouvel itinéraire forcé qu’à une heure et demie à Milwaukee, où nous jouions en matinée à deux heures La Dame aux Camélias. Je fis donc faire un déjeuner aussi potable que possible ; et mes serviteurs nègres le portèrent à ma compagnie qui s’en montra très reconnaissante. La représentation ne commença qu’à trois heures et se termina à six heures et demie, pour recommencer à huit heures avec Froufrou.

Nous repartions de suite après le spectacle pour les Grands-Rapides, Détroit, Cleveland et Pittsburg, où je devais retrouver un Américain de mes amis qui allait m’aider à réaliser un de mes rêves, du moins, je le croyais.