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des sauveteurs du Havre, qui me demandait de donner, à mon débarquement, une représentation pour la famille des sauveteurs. Ce fut avec une indicible joie que j’acceptai.

J’allais, en rentrant dans ma patrie aimée, faire le geste qui essuie des larmes.


Après le branle-bas du départ, notre navire oscilla doucement et nous quittâmes New-York le jeudi 5 mai.

Moi qui déteste les voyages en mer, je m’embarquai légère, souriante et pleine de dédain pour le vilain malaise dont elle est cause.

Nous n’avions pas quitté New-York depuis quarante-huit heures, que notre navire stoppa. Je bondis de ma couchette et m’en fus sur le pont, craignant un accident du vaisseau-fantôme, comme on l’avait surnommé. En face de nous, un navire français hissait, baissait et hissait à nouveau des petits drapeaux. Le commandant, qui faisait répondre aux signaux, me fit appeler près de lui et m’expliqua la manœuvre et l’orthographe de ces signaux. Je ne me souviens de rien, je l’avoue à ma honte.

Un canot, mis à l’eau par le bateau d’en face, reçut deux marins et un jeune homme très pâle, vêtu pauvrement. Notre commandant fit descendre l’escalier et, la barque accostant, le jeune homme monta escorté par les deux matelots. L’un d’eux remit une lettre à l’officier qui attendait en haut de l’escalier ; il la lut et, regardant le jeune homme : « Suivez-moi », lui dit-il doucement. La barque rejoignit le bateau ; les marins montèrent à leur bord ; le canot fut hissé ; la machine siffla ; il en fut de même pour notre navire. Et, après le