Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/309

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Aussi ne viens-je pas l’accusant m’excuser :
L’horreur de mon forfaict ne se peut déguiser :
Et ce m’est assez d’heur si sa juste clemence
Permet à mon trespas d’en expier l’offence.
Je m’en vois l’endurer d’un cœur ferme et constant,
Ne m’y plaignant de rien, et rien n’y regrettant,
Fors de voir que ma mort d’aucun fruict n’est suivie,
Et qu’épandre mon sang ne te rend point la vie.
Cependant, reçoy-la d’entre les clairs esprits,
Sinon avec pitié, pour le moins sans mespris,
Sous le funebre nom ou d’amende ou d’offrande
Que paye à ton trespas l’infortuné Gernande,
Autrefois ton espoux, maintenant rien sinon
Un meurtrier que son crime a privé de ce nom.
Fais-en de mesme Adee, ame que la manie
De ma cruelle main hors du monde a bannie,
Et qu’une mesme offence a mis en mesme rang :
Partagez entre vous ce miserable sang
Que je vous vois espandre ainsi qu’en sacrifice,
Tant que vostre courroux s’esteigne en mon supplice.
Ayant dit ces propos, il tourna vers les cieux
Le cœur et la parole, et les mains et les yeux,
Puis presenta sa teste à la mortelle atteinte
Du coup qui pour jamais rendit sa vie esteinte.
Et voila de quels fruicts se trouverent autheurs
Les mensonges muets des miroirs enchanteurs.
Philon ne parloit plus, quand l’amoureux Timandre,
Certes, dit-il, Philon, tu nous as fait épandre
Des larmes de pitié sur le triste discours
D’une si rare histoire advenuë en nos jours :
Mais outre la pitié dont je me sens attaindre,
Ce mal particulier la croyant me fait plaindre,
Qu’elle me rend douteux le bien inesperé
De qui desja mon cœur vivoit comme asseuré.