Page:Berthelot - Discours de réception, 1901.djvu/39

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cessé d’étonner les Parisiens ; chacun de nous avait une petite maison de campagne dans le même état ; le désastre général nous avait rendus indifférents à nos maux particuliers.

Cependant Bertrand, tout en remplissant ses devoirs publics, ne perdait pas de vue les besoins de son foyer hospitalier : il s’agissait de le ravitailler, œuvre difficile dans l’intérieur de la ville, où tout était rationné, mais plus aisée dans la banlieue de Paris. La viande de cheval surtout abondait à Montreuil, et Bertrand en rapportait chaque fois quelque provision, d’autant plus nécessaire que sa maison était devenue le refuge de bien des amis isolés à Paris. Ce n’était pas mon cas, car j’étais resté à mon poste avec ma femme. Mais nous venions réchauffer notre courage de temps à autre, dans la maison généreuse et de bonne humeur de la rue de Rivoli. On s’y partageait parfois quelques trouvailles, découvertes par les hôtes qui y avaient pris nourriture, dans les petits magasins amassés secrètement par certains de nos amis, exilés de Paris au dernier moment. Le fromage, surtout, faisait prime aux jours de détresse.

C’est ainsi que nous vivions, chacun faisant son devoir, au milieu de la cité bombardée, affamée et troublée par des discordes intestines, qui