Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/187

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à la sienne ; plus d’une page signée par d’Alembert aurait pu l’être par Mlle de Lespinasse : toutes sont inspirées par elle. Beaucoup de lettres de Mlle de Lespinasse sont écrites de la main de d’Alembert. Leur vie tranquille et libre d’ennuis semblait réunir tous les éléments de bonheur. Des amis éminents ou illustres, des savants, des lettrés, des beaux-esprits et des grands seigneurs admiraient chaque jour Mlle de Lespinasse. Condorcet, Turgot, Marmontel, Suard, le comte d’Anlezy, M. de Saint-Chamans, Morellet, Chasteluz lui adressaient, quand ils ne pouvaient la voir, des lettres pleines d’affection et de respect. Voltaire trouvait ses billets charmants. Elle poussait jusqu’au génie, disait-on, le talent de diriger une réunion, en y ménageant à chacun son rôle. Son esprit, plus remarquable par le goût que par la vivacité, s’enivrait avec délices de celui qu’elle inspirait aux autres ; elle-même, sur toute chose, cherchait le mot juste ; on lui reprochait de le trouver trop bien ; elle était un peu pédante. Parmi tant de témoignages unanimes sur la grâce et l’esprit de sa conversation, rapportons une seule anecdote, empruntée aux mémoires de Morellet, dans laquelle cet amour du beau langage est fort bien mis en relief.

« Mlle de Lespinasse aimait avec passion les hommes d’esprit, et ne négligeait rien pour les connaître et les attirer dans sa société. Elle avait désiré vivement voir M. de Buffon. Mme Geoffrin, s’étant chargée de lui procurer ce bonheur, avait engagé Buffon à venir passer la soirée chez elle.