Page:Bertrand - Gaspard de la nuit, éd. Asselineau, 1868.djvu/62

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sollicité de tant de veilles opiniâtres, à qui j’ai immolé jeunesse, amour, plaisir, fortune, l’arcane gît, inerte et insensible, comme le vil caillou, dans la cendre de mes illusions ! Le néant ne vivifie point le néant. »

Il se levait. Je lui témoignai ma commisération par un soupir hypocrite et banal.

— « Ce manuscrit, ajouta-t-il, vous dira combien d’instruments ont essayés mes lèvres avant d’arriver à celui qui rend la note pure et expressive, combien de pinceaux j’ai usés sur la toile avant d’y voir naître la vague aurore du clair-obscur. Là sont consignés divers procédés nouveaux peut-être d’harmonie et de couleur, seul résultat et seule récompense qu’eussent obtenus mes élucubrations. Lisez-le ; vous me le rendrez demain. Six heures sonnent à la cathédrale ; elles chantent le soleil qui s’esquive le long de ces lilas. Je vais m’enfermer pour écrire mon testament. Bonsoir.

— Monsieur ! »

Bah ! il était loin. Je demeurai aussi coi et penaud qu’un président à qui son greffier aurait pris une puce chevauchant sur le nez. Le manuscrit était intitulé Gaspard de la Nuit, Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot.

Le lendemain était un samedi. Personne à l’Arquebuse ; quelques juifs qui festoyaient le jour du Sabbat. Je courus par la ville m’informant de M. Gaspard de la Nuit à chaque passant. Les uns me répondaient : — « Oh ! vous plaisantez ! » — Les autres : — « Eh qu’il vous torde le cou ! » — Et tous aussitôt me plantaient là. J’abordai un vigneron