Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/111

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rir au fond du puits. Mais tu le persuaderas sans doute… Quant à moi, voici ce que j’ai combiné. Ce vieux est très bas. Il a continuellement des syncopes, qui lui donnent l’aspect d’un mort. Or, après-demain, Pastor, le voiturier, que tes gens connaissent, doit descendre un cheval dans la mine. Privatianus feindra un évanouissement. Je serai là. Je ferai charger le prétendu cadavre sur le plateau qui aura descendu le cheval, et je l’accompagnerai jusqu’à la sortie du puits. Pastor déposera sur sa charrette le corps enveloppé d’un sac, et, sous prétexte de le mener au cimetière, il le mènera chez toi, à Muguas… N’est-ce pas, maître, que c’est une bonne idée ?

– Je le crois ! dit Cécilius. Mais puisque tu es si fertile en stratagèmes, voilà longtemps que Privatianus devrait être sorti de la mine. Pourquoi donc ne nous as-tu pas avertis ?

– Pouvais-je savoir qu’il était chrétien ?… Nos prisonniers sont si défiants ! Songe que j’ai des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants sous mes ordres. Ils ont peur de moi. Je n’ai appris qu’à la longue et par hasard qui étaient ce Privatianus et ses compagnons. Aussitôt j’ai fait avertir Cyprien… Maître, c’était là une chose très grave : je risquais ma vie !

– J’aurais été là pour te défendre auprès des chefs. » dit Cécilius.

L’ouvrier secoua la tête :

« Tu serais arrivé trop tard, ou tu n’aurais rien su !… Même aujourd’hui, toi présent, je risque encore… Qu’importe ! je puis bien faire cela pour toi, — pour mériter la couronne peut-être : je ne souffrirai jamais tant que Privatianus et ses amis ! »

Il tenait ses yeux toujours baissés en disant ces mots, mais sa rude voix de manœuvre avait pris un accent d’une douceur et d’une noblesse étranges, comme si un autre, — quelqu’un de très grand, — parlait par sa bouche.

Cécilius, surpris et troublé, se leva précipitamment de son siège en tendant les bras :