Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/152

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de s’arranger pour n’être pas mis en demeure de sacrifier. D’ailleurs, les laïcs n’y étaient nullement obligés !… » Une voix méchante, sarcastique, prononçait au fond de sa conscience : « Ils n’auront pas ton sang ! ils n’auront pas ton sang ! » Et une joie ironique et âcre le remplissait à la pensée que, par cette abstention dédaigneuse, il attestait son mépris pour les païens qui ne valaient pas le sacrifice de sa vie, et aussi qu’il faisait échec à Cyprien, dont l’héroïsme l’humiliait.

Il essayait de s’affermir dans cette résolution sans gloire, lorsqu’il se rappela tout à coup qu’il devait une réponse à son ami. A cet exilé, à ce martyr volontaire qui s’apprêtait à marcher au supplice, il écrivit avec une dureté de cœur, dont il eut conscience, mais contre laquelle il ne pouvait réagir, et qui, plus tard, lui apparut comme une instigation satanique. Il terminait sa lettre par ces phrases d’une sécheresse calculée : « Mon intention est de me tenir dans la légalité. Quant à toi, je te conseille encore de te dérober. Jamais tu n’as été plus nécessaire à l’Église. »


Cette ligne de conduite n’était pas aisée à suivre. A moins de se séparer complètement de la communauté, il était obligé de concéder quelque chose au sentiment populaire, et aussi de tenir compte des avis des chefs d’autant plus qu’il était un des dirigeants de l’Église. Il ne tarda point à constater combien sa position était délicate et difficile.

Aux termes du rescrit impérial, toute réunion était interdite aux chrétiens. Leur cimetière venait d’être fermé par l’autorité. Il ne leur restait, pour leurs offices, que « l’église » proprement dite, la vieille maison cachée au fond d’une impasse et qui appartenait à Cécilius. Pour cette raison, parce que c’était une propriété particulière, les magistrats n’y avaient point apposé les scellés. Néanmoins, on n’osait plus s’y réunir, dans la crainte d’exciter le fanatisme des païens. On se retrouvait chez Cécilius,