Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/168

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dieux de Rome ou mourir… Rome ! Rome ! quand j’y pense, mon sang numide bout dans mes veines ! Toi qui me parles pour elle, tu n’es donc plus un Africain ? Tu ignores de quel poids elle pèse sur notre Afrique et sur l’univers vaincu ?… Regarde plutôt ce camp, cette machine d’oppression, avec ses rouages innombrables et compliqués, cette organisation militaire qui ne laisse rien au hasard, qui a tout prévu, depuis cet arsenal, où l’on moule des balles d’argile pour les frondes, où l’on entasse des boulets pour les catapultes, jusqu’à la caisse d’épargne où les sous-officiers déposent leur pécule. Et ces chapelles où les enseignes militaires sont adorées par le soldat, ces salles de réunion, ces archives, ces greniers, ces celliers, ces écuries, ces forges, ces fabriques d’armes et de vêtements… tout jusqu’au logement des prêtres, des augures et des haruspices de la légion…

– C’est avec tout cela que Rome nous défend, dit Martialis, et qu’elle nous donne la paix…

– Radotages du vieux temps !… Elle n’est même plus capable de nous protéger contre les nomades ! Tu sais ce qui est arrivé à Birzil !… Oui, voilà comme l’Empire nous défend ! Mais lui-même est la proie des Barbares. On affecte de les mépriser, ce qui n’empêche pas de leur ouvrir les campagnes, les fermes, les ateliers, l’administration, l’armée : ils sont partout… Ici, ceux qui montent la garde devant nos domaines sont des Lusitaniens, des Palmyréniens, des Commagéniens, des Thraces, que sais-je encore ?… »

Blessé au fond dans tous ses préjugés officiels, le triumvir s’efforçait, pour ne pas s’emporter à son tour, de prendre les choses en plaisantant.

« Je t’en prie, dit-il, cher Cécilius, respecte au moins les armées de Rome. C’est grâce à elles que, bientôt sans doute, tu vas retrouver ta fille… »

À ce rappel de Birzil, l’excitation de Cécilius tomba subitement. S’il voulait la revoir, il ne devait songer qu’à son salut, au lieu de se laisser aller à ces vaines colères…