Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/238

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On l’écoutait plus religieusement encore que lorsqu’il parlait dans l’église. On savait que les dernières paroles des confesseurs leur sont directement inspirées par l’Esprit-Saint. Et, Cyprien lui-même avait maintes fois répété que son ambition la plus chère était de mourir en prêchant son peuple. Il reprit :

« Mon vénéré collègue, le pape Sixtus, vient de me frayer la route. J’apprends de Rome qu’il a été frappé par le bourreau sur sa chaire pontificale, dans la crypte du cimetière où il annonçait la parole de Dieu… »

Et, comme un frémissement d’horreur et d’indignation parcourait les rangs de l’assistance, il ajouta de sa voix calme :

« Sixtus a bien travaillé pour l’Église. Je suis heureux qu’il ait couronné une administration si intègre et si sage par une fin si honorable… Mais comprenons bien la leçon qu’il nous donne. Ne prenons pas prétexte de son martyre pour braver les Gentils. Le pape Sixtus a résisté à un pouvoir injuste, il ne l’a pas provoqué. Car il faut que je vous le redise encore, frères bien-aimés, nous devons confesser le Christ, mais non le professer avec ostentation. Évitons le faste des discours et des attitudes. Pas d’enflure tragique. Pas de tumulte surtout. Nous ne sommes point des séditieux. Nous devons rendre à César ce qui appartient à César. Nous acceptons César, nous acceptons l’Empire. Ce que nous ne voulons pas, ce sont leurs mœurs et leurs dieux. Quand ils auront abandonné leurs dieux, leurs mœurs changeront. Nous ne venons pas bouleverser l’Empire, ni sa politique, ni les conditions des citoyens. Les Gentils nous accusent d’être des fauteurs de désordre, parce que certains d’entre nous affranchissent en masse leurs esclaves. Sans doute c’est une pieuse pensée que de donner la liberté à de bons serviteurs, mais encore faut-il que ceux-ci en soient dignes. Il importe principalement qu’ils soient assurés de ne pas mourir de faim hors de votre maison. Que cette coutume ne devienne pas pour vous un prétexte de vous soustraire