Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/250

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Et, comme son interlocuteur tardait à comprendre, il ajouta, en clignant de l’œil :

« Cela se vend très cher aux fidèles !… »

Cécilius n’eut pas le temps de s’indigner contre ce cynisme mercantile. Le bruit de la condamnation se répandait déjà par toute la place. Le proconsul venait de prononcer contre Thascius Cyprien la peine de la décollation. Cette rapidité du jugement et de la procédure était d’ailleurs conforme aux édits impériaux. L’identité du coupable sitôt établie, il devait être immédiatement traîné au supplice. À cette nouvelle, une clameur s’éleva :

« Nous sommes tous Thascius Cyprien ! Qu’on nous décapite avec lui ! »

Parmi les païens eux-mêmes, beaucoup s’indignaient. Ils se rappelaient l’héroïsme, l’abnégation et la charité admirables de l’évêque pendant la peste récente. « N’était-ce pas ce Thascius qui s’en allait par les rues ramasser les moribonds, sans distinguer entre les chrétiens et les autres, qui les soignait, les faisait ensevelir, secourait les pauvres, nourrissait les affamés ! Et voilà la récompense de son dévouement ! »

Ils disaient tout haut :

« C’est une indignité !… ou bien Galerius a la fièvre, il perd la tête ! »

Tout à coup les portes de l’atrium s’ouvrirent. Encadré par un tribun et par un centurion, le martyr parut. Une acclamation formidable s’élança au-devant de lui :

« Cyprien, salut !… Salut !

– Nous voulons tous mourir avec toi ! »

Les soldats, sentant la foule houleuse, n’osaient réprimer ces cris dans la crainte d’un soulèvement. Le condamné n’ouvrit pas la bouche, ne fit pas un geste, mais, par toute son attitude et l’expression de son visage, il semblait dire au peuple : « Si vous m’aimez, gardez le silence ! » Il s’avançait d’un pas ferme, escorté par les officiers et encadré par une escouade de soldats. Derrière lui, d’un seul mouvement, la foule s’ébranla. Il passa de-