Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/259

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par la main les deux petits garçons. Il les montra au maître :

« Cher seigneur, dit-il, tu les adopteras, n’est-ce pas ? Je les ai déjà adoptés pour toi. Ce sont des jumeaux. Leur mère est morte égorgée par les soldats. Comme celui-ci que tu vois, le plus faible des deux, s’accrochait désespérément au cadavre, les barbares lui ont tranché le poignet… Regarde ! C’est un petit martyr ! »

Et Jacques, le poussant devant lui, saisissait délicatement entre ses doigts le bras manchot encore enveloppé de linges sanglants. Cécilius caressa l’enfant d’un geste lassé : cette douleur se perdait dans la masse de toutes les autres souffrances qui gisaient là, confusément, sur la paille de la cour. Il embrassa du regard ce désolant spectacle. À cette vue, son cœur se serra. Il se rappela les exhortations suprêmes de Cyprien, et, connaissant le zèle souvent inconsidéré du diacre, il lui dit, en désignant les fugitifs :

« Je t’en prie, ne les livre pas, dans l’emportement de ta foi !… Il faut au contraire les sauver ! Ceux-là non plus ne doivent pas mourir !

– Ils sont prêts pour le sacrifice !» répliqua Jacques, les yeux étincelants.

Avec un calme feint, Cécilius reprit comme se parlant à lui-même :

« Une telle hécatombe livrée aux bourreaux ?… Non ! Dieu ne peut pas exiger le sacrifice de tant d’innocents. Il importe au contraire de les faire partir au plus vite et de prendre toutes les sûretés possibles pour leur protection et leur salut… Mais venez là-bas, toi et Marien ! Nous y causerons de tout cela plus tranquillement. »

Toujours suivi de Trophime, il conduisit le diacre et le lecteur vers un hangar rustique, qui se trouvait à quelque distance de la ferme, près d’un bouquet d’arbres. Un réfugié s’était joint à eux, qui salua cérémonieusement Cécilius. Aussitôt Jacques le lui nomma : c’était Flavien, de Tigisi, personnage important dans son municipe et ap-