Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/295

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palais, leurs portes triomphales. Et, le long des pentes rocheuses les plus voisines, la rivière qu’on voulait détourner inscrivait ses courbes et ses anneaux dans la plaine blonde dont les cailloux, au bord de l’eau, étincelaient, tels des galets d’or. Le cours du torrent, uni par places, miroir d’argent ou d’acier bleuâtre traversé par les reflets rouges des terrains, se brisait ailleurs et bouillonnait autour de bandes de sable émergeantes qui, de loin, semblaient noires comme des baguettes d’ébène.

Tout cela était dur, figé, splendide. Cette indifférence des choses attristait Cécilius qui, tout en passant ses briques, contemplait, au-dessus de sa tête, comme à ses pieds, ce peuple d’esclaves, — ses frères, — courbé sous les verges des surveillants et donnant ce qui leur restait de souffle pour engraisser le fisc du peuple romain.

Le calme de la nature le révoltait. Cette nature, tant adorée par les stoïciens, était comme Hildemond : elle frappait, elle tuait et détruisait en toute candeur et tranquillité. Elle absolvait l’instinct féroce du Germain. Elle conseillait le meurtre sans remords, l’ignominie soutenue par une bonne conscience… Un matin, cette pensée l’obsédait avec une telle persistance, que le spectacle radieux qu’il avait sous les yeux lui fit horreur comme une espèce de complicité monstrueuse avec l’iniquité. Ce jour-là il se sentait faible et plus accablé que de coutume. Néanmoins, il songeait : « Il ne faut pas mollir, il ne faut pas accepter l’injustice, il faut lutter jusqu’au bout. C’est à cause de cela que je souffre, que je vais mourir peut-être… » En même temps, il levait les bras pour passer le fardeau à l’homme qui était au dessus de lui. Ses bras étaient dressés tout droit comme ceux d’un supplicié suspendu par les deux mains. Il revit Marien devant le tribunal de Cirta, et, dans le moment où il évoquait la scène atroce, il manqua le paquet de briques qu’on lui lançait d’en bas. Vivement, il se baissa pour le rattraper, mais il perdit l’équilibre, roula parmi les pierres