Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/322

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la vision du Prêtre éternel célébrant le sacrifice dans la crypte de Sigus avait dissipé ses craintes et illuminé son esprit. Ç’avait été à la fois si simple, si magnifique et si doux, — si simple, en vérité, qu’il se disait : « Eh quoi, Seigneur, ce n’est que cela ! » Mais « cela » il le sentait bien, c’était tout, c’était une plénitude qui comblait tout son cœur, toute son âme, toute sa pensée. C’était la grande Paix promise. Une telle paix ne serait jamais payée assez cher !… Et, en songeant ainsi, il enveloppait d’un dernier regard l’énorme force hostile qui l’environnait et qui l’écrasait. Il voyait les soupiraux des chambres de torture, d’où montaient les cris des suppliciés. Et il contemplait les Victoires, les Génies et les Aigles qui érigeaient leurs cous d’oiseaux voraces et qui battaient des ailes sur les corniches et les clefs de voûtes des édifices, les statues d’empereurs sous leurs couronnes, leurs cuirasses de parade, les lames d’airain et les lanières qui ceignaient leurs torses de marbre, — tous ces symboles de la violence et de l’oppression séculaire par laquelle il allait périr…

Tout à coup une trompette sonna : c’était le signal du départ. Dans un grand bruit de chaînes, la colonne s’ébranla, encadrée par un peloton d’auxiliaires lusitaniens qui caracolaient sur de petits chevaux espagnols. Cette matinée de printemps était d’une limpidité merveilleuse. Il y avait encore de la rosée sur les touffes d’herbe qui bordaient la route. Une douceur extrême flottait dans l’air, avec les mousselines des petits nuages blancs épars à l’horizon. Dans la campagne, quelques arbres tardifs dressaient comme des cierges leurs branches constellées de pétales blancs et roses, et, tout le long de la Voie Septimienne, les boules blanches des acacias, les troènes, les sureaux en fleurs se déroulaient en une procession virginale. De longues guirlandes de roses blanches se nouaient aux cyprès des jardins, où les lis au cœur d’or élevaient vers les misérables qui passaient l’encensoir brûlant de parfums de leurs calices immaculés. Là-bas, tout au fond du ciel, un peu de neige resplendissait encore sur les plus