Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/42

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décida finalement à sortir. Pour ne point se montrer dans les rues, il contourna la ville par un chemin extérieur bordé de stèles et de mausolées. Partout des pierres blanches avec des dédicaces aux dieux mânes, des inscriptions en caractères phéniciens, sous une tête de Baal, ou la silhouette gravée d’un palmier entre deux fleurs de lis. Ce chemin funéraire aboutissait à un ravin, en longeant les murs d’un théâtre inachevé. Au bout du ravin, à droite, tout à coup, une vision inattendue et charmante arracha, pour un instant, Cyprien à ses tristesses et à ses inquiétudes.

C’était un bassin en hémicycle, prolongé par un parterre d’eau, que, de chaque côté, bordait une colonnade. Au bout du grand canal, au fond de la perspective miroitante, un petit temple en marbre rose, exhaussé par un large escalier, se détachait sur la blondeur fauve d’une colline pierreuse, entre deux peupliers d’Italie, droits comme deux cierges sur leur chandelier. Les jeunes gens qui se baignaient dans le canal troublaient à peine la limpidité de l’eau morte. Les mauves liquides se mêlaient aux reflets roses du ciel et des marbres. Dans l’âpreté et la sécheresse des terres, ces grandes surfaces fraîches et souriantes, ces miroirs enchantés par le crépuscule, et, dans le lointain, le mol ionique du petit temple, tout cela composait un ensemble plein d’une grâce légère et mélancolique, qui n’était point sans noblesse. Cyprien, homme de haute culture, habitué aussi à voir dans toute beauté une image de la splendeur divine, ne pouvait rester insensible à ce spectacle. Il regarda plus attentivement. Ces portiques solennisaient la source du Bagradas, le fleuve nourricier de la Proconsulaire : le temple rose était consacré à la divinité fluviale. Sans doute, on y avait célébré quelque fête dans la journée, car la Porte du sanctuaire était encore ouverte à deux battants. Au fond de la cella, on apercevait l’effigie du Fleuve, une statue de bois, que drapait, comme un mannequin, une prétexte de soie bleue ramagée d’argent.