Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/43

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Aux environs et jusque sous les portiques, une foule d’édicules et de petites chapelles étaient consacrés aux sources tributaires du Bagradas.

Ce rappel de l’idolâtrie omniprésente et toujours triomphante fit fuir l’évêque de Carthage. Une rue montante, qui s’ouvrait devant lui, l’obligea à traverser le forum, encombré, lui aussi, de piédestaux, où se dressaient des statues de dieux et d’empereurs divinisés. Tout un côté était occupé par des temples, derrière lesquels on en construisait un autre plus grand… Ces dieux païens, on ne pouvait faire un pas sans se heurter à leurs figures ou à leurs sanctuaires ! La terre d’Afrique pliait sous le poids de ses idoles. Comme elles pesaient sur le monde et sur les âmes, ces divinités menteuses ! C’était à cause d’elles que, dans les mines de Sigus, des créatures humaines étaient obligées de vivre, comme des bêtes de somme, sous le fouet des gardes-chiourmes ; à cause d’elles, peut-être que les évêques numides ne pourraient pas s’assembler à Cirta, et que Cécilius, l’ami très cher, allait retirer son cœur à son ami et trahir le Christ…

Quand Cyprien rentra, il trouva enfin, comme pour dissiper toutes ses craintes et tous ses doutes, le message qui avait tant tardé. La lettre de Natalis ne contenait que ces mots : « Tout est bien. Je t’attends avec joie. »

Le lendemain, au petit jour, dans la cour du caravansérail, où les serviteurs de l’évêque dormaient sur des couvertures, il y eut une scène tumultueuse. Pendant le sommeil de Jader, le chef des muletiers, un des serpents des charmeurs, échappé on ne savait comment, s’était enroulé autour de sa tête à la façon d’un diadème. C’est ainsi que, soixante ans plus tôt, dans une auberge toute pareille à celle-ci, l’empire avait été présagé à Septime Sévère, Africain de Leptis Magna, et célèbre dans toutes les Afriques. Sur quoi les païens qui étaient là se mirent à acclamer le muletier par dérision :

« Salut, Jader Auguste !… Longue vie au nouveau César ! »