Page:Bever-Léautaud - Poètes d’aujourd’hui, I, 1918.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans lequel nos critiques dramatiques, toujours bons juges, s’imaginèrent de retrouver toutes les situations théâtrales connues depuis Shakespeare jusqu’à M. Courteline, en passant par Musset, Poe, Feuillet et Augier. M. Maurice Maeterlinck publia ensuite une traduction d’Annabella (Tis pity she’s a whore), drame de John Ford, représenté au Théâtre de l’Œuvre en novembre 1894, — les trois petits drames pour marionnettes : Alladine et Palomides, Intérieur, et La Mort de Tintagiles, dont le deuxième seul a été joué, au Théâtre de l’Œuvre, en mars 1895, — une traduction des Disciples à Saïs et des Fragments de Novalis, — et nous arrivons ensuite au Trésor des Humbles, à La Sagesse et la Destinée, Le Double Jardin, La Vie des Abeilles, Le Temple enseveli, sans oublier Monna Vanna et Joyzelle, deux pièces représentées à Paris ces dernières années. On ne saurait dire en peu de lignes toute la beauté profonde et rare qu’on trouve dans tous les livres de M. Maurice Maeterlinck, la lumière spirituelle qu’ils dégagent, la voix grave et unique qu’on y entend. « Tous les journaux et toutes les revues du monde, a dit M. Camille Mauclair, ont commenté, critiqué, loué, exposé longuement l’esprit original de cette philosophie psychologique et mystique, le style pur de ces drames, leur composition puissamment tragique, la haute et curieuse aisance d’analogies qui s’y révèle, la maîtrise, le sens de perfection simple, l’expansion intérieure qui en vivifient la durable et particulière beauté. Un fait suffit : la voix des foules, qui a obscurément raisonné, prononce couramment le nom de ce jeune homme avec celui de l’auguste vieillard Scandinave, Henrik Ibsen. Ce sont des gloires occidentales, au-dessus de la mode, et il y a là un signe infaillible de grandeur. J’observerai seulement la dualité de cet esprit. Comme celui de Poe, il est également apte à la construction d’œuvres tangibles et saisissantes, et à la spéculation abstraite, conciliation naturelle chez lui et si difficile aux autres esprits : c’est l’intellectuel complet. Il semble pourtant préférer la dissertation métaphysique à la réalisation littéraire directe où il a trouvé la célébrité. Son évolution l’y entraîne, et cet homme, qui a commencé par être un parfait artiste de légendes, finira par renoncer aux drames et aux œuvres imaginatives pour se consacrer exclusivement aux sciences morales. Ce qu’il en a esquissé présage un métaphysicien peut-être inattendu de l’Europe intellectuelle, un surprenant continuateur de la philosophie imagée et artiste de Carlyle. Je répète que M. Maurice Maeterlinck est un homme de génie authentique, un très grand phénomène de puissance mentale à la fin du xixe siècle. L’enthousiaste Mirbeau l’approche à tort de Shakespeare, avec qui il n’a nulle affinité intellectuelle. La vraie figure à qui fait songer M, Maeterlinck, au-dessus de la vaine