Page:Bibaud - Histoire du Canada et des Canadiens sous la domination anglaise, Vol 3, 1878.djvu/106

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On imagine mieux qu’on ne le décrirait l’état moral ou mental de la population de Montréal, après un événement presque ordinaire en Angleterre, et surtout en Irlande, mais jusqu’alors inoui en Canada ; chez les uns l’anxiété devint alarme, chez les autres, l’exaltation parut se changer en frénésie. Les magistrats, que cette élection « toute de feu » avait tenus pendant un mois sur le qui-vive, eurent à prendre de nouvelles mesures de précaution pour rassurer les citoyens paisibles, mais ils oublièrent de se protéger eux-mêmes, ou de se mettre en garde contre les attaques d’une presse qui, de licencieuse, devint incendiaire, et se laissèrent accuser, au lieu de se porter accusateurs, et il en résulta une agitation autrement violente et d’un tout autre caractère que celle de 1827 ; car quoique les accusations de la Minerve fussent aussi absurdes qu’elles étaient atroces[1] quelques habitans de la campagne purent croire qu’elles étaient fondées, et qu’il n’y avait pas eu d’émeute, puisqu’il n’y avait ni recherche ni pour-

    eux, s’ils ne cessaient pas ; mais au lieu de cesser, ils nous assaillirent, avec un redoublement de violence ; ils se formèrent en un corps, et agirent avec beaucoup d’ordre, en entretenant une grêle de pierres contre nous, les individus qui étaient en avant se plaçant assez près des troupes pour leur faire beaucoup de mal, et lorsqu’ils se retiraient, ils passaient les uns à travers les autres, comme des troupes légères qui escarmouchent. Moins d’une décharge de la première division, composée de seize hommes, fût tirée en conséquence, et fût suivi d’effet. En peu d’instans, la foule se dispersa et disparut entièrement… Je n’ai jamais vu la populace assaillir le militaire avec autant d’audace, de persévérance et de violence qu’en cette occasion. » — Déposition du lieutenant Q. M., T. W. Dawson.

  1. « Aussitôt que les soldats eurent tiré, on les fit revenir sur leurs pas jusqu’au lieu où se tenait le poll. On les y fit rester une bonne partie de la nuit. On eut même la hardiesse de faire venir sur la place d’Armes plusieurs pièces de campagne avec une troupe d’artilleurs. Des sentinelles parcoururent le soir et la nuit les rues de cette ville, et pour récompenser les soldats de leur courage à massacrer des victimes paisibles et sans armes, et leur faire oublier leur crime, on leur donna du rhum en abondance. »