Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/109

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et elle nous assure que certaines de ses représentations sont aussi intenses que la réalité. Je crois donc que, comme pouvoir d’imagination, elle est au-dessus de la moyenne ; et elle représente assez bien ce qui doit se passer dans l’esprit d’un bon visualisateur.

Nous pouvons conclure, par conséquent, que l’image n’est qu’une petite partie du phénomène complexe auquel on donne le nom de pensée ; la facilité qu’on éprouve à décrire l’image mentale, et sans doute à la comprendre par la comparaison un peu grossière qu’on en a fait avec une image enluminée d’Épinal, est ce qui a fait illusion sur son importance.

C’est la psychologie de Taine, si belle dans son outrance, qui a popularisé parmi nous cette idée que l’image est une répétition de la sensation, et qu’on pense avec des images. Puis, ce sont les remarquables études cliniques de Charcot sur l’aphasie qui ont montré la distinction à faire entre les images visuelles, auditives, motrices, et ont encore accru l’importance de l’image en psychologie.

Cette étude des images est devenue une des plus perfectionnées de la science française. Taine et ceux qui l’ont suivi ont eu raison de mettre en pleine lumière l’élément sensoriel de la pensée ; car cet élément existe. Pareillement Charcot a rendu service en montrant la multiplicité des variétés d’images mentales, ce qui frayait d’avance les voies à la psychologie individuelle.

S’il m’est permis de me citer après ces grands noms, je rappellerai que, dans ma Psychologie du raisonnement, j’ai essayé de montrer que le raisonnement conduit à une vision intérieure des choses sur lesquelles on raisonne, vision qui se construit grâce aux propriétés inhérentes aux images mentales. Je suis donc loin d’être hostile aux théories qui accordent de l’importance aux images mentales ; seulement, il me semble qu’on ne doit pas aller trop loin.