Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/119

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je retiens, mais qui ne sont pour moi qu’un souvenir verbal, et non une image visuelle. Je serais dans l’impossibilité de les dessiner d’imagination ; je dois remarquer, à ce propos, que j’ai une très mauvaise mémoire visuelle et que je serais également incapable de dessiner de mémoire les personnes de ma famille à moins d’avoir fait en les regardant un effort d’attention tout particulier.

« Cependant je me représente mieux certains personnages que d’autres ; Athos, par exemple, qui porte toute sa barbe, peut-être parce qu’il est associé au souvenir d’une personne réelle. Quant au personnage qui porte le nom de Rochefort, il m’apparaît avec la barbiche et les traits du directeur de l’Intransigeant ; cette fusion avec un souvenir réel a donné à ce personnage accessoire une netteté incomparablement plus grande. Il en est de même du personnage de Raoul, dans Vingt ans après ; il a pour moi les traits d’un de mes amis, du nom de Raoul, et dont l’âge et la figure pouvaient prêter à ce rapprochement ; il est infiniment plus distinct que les autres, il a des cheveux, des yeux, une taille déterminée, enfin les attributs un peu effacés d’une personne réelle.

« Je reviens aux autres ; en cherchant à démêler ce qui reste de ma vision, il me semble que cela se résume en des expressions de physionomie ; ainsi p. 55 :

« Ma foi, je me bats parce que je me bats, répondit Porthos en rougissant.

« Athos, qui ne perdait rien, vit passer un fin sourire sur les lèvres du Gascon.

« Je vois Porthos rougir, je vois le sourire de d’Artagnan et le coup d’œil d’Athos. Pendant un dialogue insignifiant je ne vois rien ; puis, si les personnages expriment des passions ou agissent, je verrai un sourire, une expression de colère, de fureur, un mouvement, et tout cela sans que le sourcil qui se fronce, la bouche qui rit, ou le bras qui se lève aient rien de bien individuel. »