Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/120

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On voit donc que l’image de souvenir a, pour employer le mot consacré et si vague, plus d’intensité que l’image d’imagination, quand il est possible de les juxtaposer, comme par l’artifice précédent, et lorsqu’on les aperçoit du même coup d’œil mental.

Mais si cette conclusion est incontestable, on peut objecter qu’elle ne vaut que dans les limites très précises où elle a été faite ; c’est une imagination bien mécanique, bien modeste, que celle qui consiste à créer d’après une description de livre. Peut-être n’a-t-on pas le droit de comparer cette imagination de lecteur à celle de l’auteur qui compose le roman pourquoi celle-ci, qui est plus échauffée, n’arriverait-elle pas à plus de puissance dans ses créations[1] ?

J’arrive maintenant aux expériences faites sur mes deux fillettes. Je veux d’abord étudier d’une manière générale l’intensité de leur imagerie mentale, sans tenir compte de l’espèce des images. Nous entrerons ensuite dans le détail.

Pour donner plus de précision à leurs appréciations (je ne dis pas : plus d’exactitude), je leur ai recommandé d’attribuer à chaque image une cote, de 0 à 20, le 0 représentant une image de l’intensité la plus faible, le 20 correspondant à l’intensité de la sensation réelle. Cette convention a été acceptée sans résistance, ainsi que je m’y attendais ; les enfants font moins de réserves que les adultes. Mes fillettes commencèrent par me décrire ce qu’elles se représentaient ; d’ordinaire, c’est seulement quand la description était terminée, ce qui avait permis

  1. En réalité, je dois dire que dans l’enquête que j’ai faite avec Jacques Passy sur l’imagination créatrice, nous n’avons jamais rencontré d’artiste nous ayant dit qu’il avait l’hallucination de ses personnages. On a souvent cité les quelques mots que Flaubert a écrits à Taine sur la manière dont l’affectaient les personnages de son roman, et sur le goût d’encre qu’il a éprouvé en décrivant l’empoisonnement de Mme Bovary. Cela est fort pittoresque ; mais Daudet et Goncourt, deux amis intimes de Flaubert, qui l’ont bien connu, nous ont assuré, chacun séparément, qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre la parole de Flaubert ; c’était un grand enfant ; de la meilleure foi du monde, il se contredisait à chaque instant. (Année Psych., I, p. 96).