Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/123

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que Marguerite est un esprit calme et posé, qui n’a jamais montré de tendance à l’exagération. Toutes ces raisons peuvent être invoquées en faveur de l’expérience.

Pour faire une nouvelle vérification, j’ai recommencé l’épreuve après dix mois d’intervalle, dans lesquels je n’avais pas parlé aux deux sœurs de leurs images mentales ; en août 1901, je leur ai lu encore une cinquantaine de mots, en les priant de décrire leurs images, puis d’en coter l’intensité. Les résultats ont été identiques aux précédents ; les cotes d’Armande vont habituellement de 5 à 10, et celles de Marguerite vont souvent à 18 et atteignent souvent 20.

Malgré toutes les raisons que je viens de donner, j’avoue franchement que cette dernière cote m’embarrasse beaucoup. Pauvre visuel, me représentant avec un vague désespérant les choses auxquelles je pense et qui ne se précisent que grâce à ma parole intérieure, je suis incapable de comprendre comment on peut dire d’une représentation mentale évoquée les yeux ouverts, et par le seul effort de la volonté, qu’elle égale la sensation en intensité. Et cependant, je suis bien obligé d’admettre ce que je ne comprends pas, car tout récemment encore j’ai étudié minutieusement des personnes adultes dignes de foi, bien capables de s’observer, et qui avaient la même aptitude que Marguerite à se représenter les objets comme elles les voyaient, et qui en outre cotaient 20 leurs images. « Cela ne peut pas être plus net, » me disait l’une de ces personnes.

Nous pouvons donc résumer tout ce qui précède en adoptant cette conclusion, qui n’exprime en somme qu’une réserve de prudence : le pouvoir d’imagination créatrice n’implique pas nécessairement une grande intensité des images mentales dans les domaines autres que celui de l’imagination créatrice.

Examinons maintenant si l’intensité des images varie d’après leur nature de souvenirs ou d’actes d’imagination.