Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/164

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taire. Armande ne réalise pas ce que je veux, et, de plus, elle réalise ce qu’elle ne veut pas. Supposant qu’Armande était surtout indocile à mes suggestions, je lui demande le lendemain : « D. Est-ce que tu pourrais faire ces transformations, volontairement, si tu en avais l’idée toi-même ? — R. Non, c’est le hasard qui dicte ce que je dois voir. Ce n’est pas moi du tout. Je ne peux pas volontairement me représenter telle chose, même si cette idée vient de moi. — D. Veux-tu essayer ? — R. Oui… c’est que quand je veux m’imaginer, je ne m’imagine rien du tout. Je me représente la rue Grande à Fontainebleau, quand nous passions à bicyclette avec M… Je voudrais voir Marguerite tombant de bicyclette… Je ne peux pas la voir… Je veux me représenter la croix de Toulouse… J’y parviens un peu. — D. Transforme. — R. Oh ! malgré moi, ça change… Je vois une vieille mansarde avec des murs blancs, et une vieille femme qui est devant la cheminée à se chauffer les pieds. — D. Transforme. — R. Je voudrais m’imaginer qu’elle se lève… Non, elle reste assise. — D. Demande-lui autre chose. — R. Qu’elle batte dans ses mains ! Je ne peux pas, elle est trop paisible ; qu’un chat vienne se frotter contre sa chaise ?… Je vois un chat… il reste au milieu de la pièce… il vient se frotter contre une autre chaise… Maintenant ça disparaît… Je voudrais me représenter le bois d’Elennemare… là, ça y est… Je voudrais me représenter un bœuf attelé à une voiture qui passe… Je ne peux pas… Je vois le bœuf sur le pont de Fontainebleau. — D. En somme, tu ne peux pas conduire ton image à ta volonté ? — R. Je puis me représenter les objets que je désire, seulement ils sont à d’autres endroits. »

Ce serait exagéré de dire qu’Armande ne commande pas du tout son imagerie. Elle est capable de se représenter ce qu’on lui dit ou ce qu’elle veut ; mais la représentation n’est jamais complète, elle boite par quelque