Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/285

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tendrait pas à ce qu’Armande apprît 8 vers dans un temps où Marguerite en apprend 16.

Il fallait que je poursuivisse cette longue série de recherches, pour arriver enfin à ce que je crois être la solution vraie. Cette solution est la suivante : Armande a une mémoire qui, comme force plastique, n’est pas nettement plus faible que celle de Marguerite ; ce qui est plus faible, chez elle, c’est le pouvoir d’attention volontaire. Je n’entends point parler de sa bonne volonté et de son zèle, mais de sa force d’attention volontaire au sens strict du mot. L’attention volontaire, ai-je dit plus haut, consiste à faire ce qui n’intéresse pas, ce qui rebute, ce qui exige un courageux effort. Or, au point de vue de l’attention volontaire, nos expériences sur la mémoire se subdivisent très facilement en deux catégories distinctes ; il y a eu, d’une part, des épreuves où le sujet n’avait aucun effort à faire, il restait passif, à l’état de réceptivité, mémoire ouverte ; les souvenirs qu’on lui proposait étaient assez intéressants, en d’autres termes, pour éveiller son attention spontanée, l’attention machinale et bête du badaud ; il en était ainsi pour la mémoire des mots isolés ; chaque mot a un sens qui frappe l’esprit et qui le fait retenir ; on n’a point d’effort à faire, puisque l’expérience est conduite de telle sorte qu’on n’a pas le loisir de répéter mentalement les mots. Il en est de même pour les objets fixés sur le carton, et que le sujet doit retenir dans le petit détail ; ces objets forment un tableau pittoresque intéressant pour les yeux et qui entre directement dans l’esprit ; il en est encore de même pour un récit qu’on écoute et dont on se rappelle ensuite le sens, quand le récit est écrit en style familier et rapporte des faits intéressants. Point d’effort d’attention volontaire dans toutes ces épreuves, du moins point d’effort vigoureux et pénible ; aussi Armande est-elle à la hauteur de sa sœur. La seconde catégorie d’expériences est toute autre : il s’agit d’apprendre par cœur un texte ; il faut donc graver dans