Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/292

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usuels ; à un autre point de vue, on peut dire que ce sont des souvenirs sensoriels, dont la majorité dérivent de perceptions antérieures de la vue et du toucher. Il est naturel que ces souvenirs soient très abondants. Tout ce qui se passe en nous n’est pas également capable de revivre dans la mémoire ; ce sont précisément les données des sens les plus élevés qui forment la majeure partie de nos représentations. Les enfants d’école et les adultes sur lesquels j’ai fait cette même expérience ont eux aussi écrit surtout des noms d’objets usuels.

Marguerite se conforme donc à la règle. Armande, au contraire, est une exception : elle a écrit un grand nombre de mots qui se rapportent à des sensations vagues de la cénesthésie, à des sentiments intellectuels, à des émotions, bref à des états qui ne sont pas, en général, doués d’extériorité, et qui appartiennent à la conscience personnelle de chacun. Pourquoi a-t-elle écrit à plusieurs reprises de ces mots-là, si son attention n’avait pas une tendance à se porter vers le domaine subjectif ?

Fait plus frappant encore : les phrases qu’elle a écrites ont un double caractère : d’abord le vague des images qui représentent des objets, de sorte que l’élément connaissance qu’elles renferment est peu développé ; il y a peu d’extériorité dans ces pensées ; le sentiment du réel est au minimum ; et, en second lieu, le caractère dominant des phrases écrites est la profondeur du sentiment ; bien que cela ne soit pas écrit en toutes lettres, on comprend, on devine que ce qui se dégage de ces phrases-tableaux, c’est un sentiment de gaieté, ou de tristesse, ou de mélancolie ; le détail matériel n’est là que juste ce qu’il en faut pour servir de clou auquel le phénomène affectif est suspendu ; dans les descriptions d’objets, enfin, le ton émotionnel est si marqué qu’on pourrait dire que ce sont des notes d’état d’âme bien plus que des descriptions de nature morte.