Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/314

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tes aptitudes ; sans aller jusqu’à la nécessité, nous pouvons admettre l’harmonie. Nous trouvons d’une part chez l’un de nos sujets la précision de la pensée, l’aptitude à se rendre compte, la constance de l’attention, l’esprit pratique, le développement médiocre de l’imagerie spontanée, et par-dessus tout l’attention dirigée vers le monde extérieur. Est-ce que tout cet ensemble de qualités ne s’oppose pas, dans un curieux contraste, à cet autre esprit, chez lequel l’esprit d’observation extérieure moins développé, une pensée moins précise, moins méthodique, moins consciente, une attention moins soutenue s’allie au développement de l’imagination, au sens poétique, à la vivacité, à l’imprévu, au caprice ? Ne sont-ce pas là deux portraits bien logiques et bien vivants ? Et quoiqu’il ne s’agisse ici que de deux fillettes de 12 et 13 ans, ne représentent-elles pas assez curieusement, autant que deux êtres particuliers peuvent représenter une généralité, ces deux tendances si importantes de l’intelligence humaine, l’une vers l’esprit scientifique, l’autre vers l’esprit littéraire ?

Dirai-je enfin pour terminer que, dans quelques chapitres, laissant de côté l’étude de l’idéation individuelle, j’ai essayé de connaître la nature même de la pensée ; et j’ai été aidé dans cette œuvre difficile par ces deux enfants qui ne savent pas le premier mot de psychologie. Nous avons distingué plus fortement qu’on ne l’avait fait jusqu’ici ces trois phénomènes : la pensée, l’image et le langage intérieur. Nous nous sommes surtout intéressés au travail de la pensée, cette force invisible qui agit derrière l’abri des mots et des images. Nous avons constaté que le travail de la pensée n’est point suffisamment représenté par le mécanisme des associations d’idées ; c’est un mécanisme plus complexe, qui suppose constamment des opérations de choix, de direction. Nous avons vu aussi que l’imagerie est bien moins riche que la pensée ; la pensée d’une part interprète l’image, qui est souvent informe, indéfinie ; d’autre