Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/60

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dissimule pas tout ce qu’elle doit avoir de personnel et d’intime[1], je me bornerai à l’étude des mots, du vocabulaire.

J’utiliserai les 300 mots que chacun de mes sujets a écrits dans le test décrit au chapitre II. J’étudierai ces mots à trois points de vue :

1o  Le point de vue grammatical ;

2o  Le point de vue du sens concret et abstrait ;

3o  Le point de vue social.

On se rappelle sans doute comment se fait l’expérience des 20 mots. La prescription donnée est d’écrire 20 mots.

On n’ajoute rien de plus ; tous les sujets sur lesquels j’ai expérimenté comprennent d’eux-mêmes qu’il s’agit d’écrire des mots isolés et non des phrases. Mais que faut-il entendre par un mot ? Ce test, comme celui de la description d’objets et d’autres du même genre, contient une indication que l’on laisse volontairement très vague, pour ne pas restreindre la liberté du sujet. Celui-ci, d’ailleurs, ne se doute point qu’on lui permet de se mouvoir dans un cercle assez grand ; il s’imagine au contraire, du moins très souvent, qu’on lui a donné une indication très précise, à laquelle il s’est borné à se conformer strictement. Ainsi, la grande, l’immense majorité des personnes

  1. L’individualisme dans le langage a été noté par différents auteurs, des romanciers, comme J. Case (la Volonté du bonheur, dans la Revue bleue, 10 oct. 1891), des poètes philosophes (Sully-Prud’homme, la Justice, préface), Diderot (Rêve de d’Alembert), Musset (Fantasio), Bergson (Essai sur les données immédiates de la conscience, pp. 97 et seq.). J’emprunte quelques-unes de ces citations à Dugas, le Psittacisme, pp. 27 et seq. Après avoir noté cet individualisme, il resterait à l’étudier. Mais c’est une autre affaire. Les auteurs ressemblent à ces chœurs d’opéra qui chantent Partons ! et qui ne partent jamais. Le seul essai expérimental que j’ai rencontré est un peu bizarre ; il est dû à un auteur anglais qui comptait les mots d’après les nombres de syllabes, et avait trouvé pour chaque écrivain une proportion spéciale de ces mots : tant de mots monosyllabiques, tant de bissyllabiques, et ainsi de suite. Des computations faites sur des millions de mots permettaient de tracer une courbe personnelle qui avait, paraît-il, une certaine constance. Le travail a paru dans le Popular Science Monthly de 1901. Je n’ai pu retrouver ni le nom de l’auteur ni le titre de l’article.