Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/79

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à l’état d’isolement. Ce sont des conditions un peu anormales, et qui nous éloignent du cours ordinaire des pensées. À ce point de vue, ce test est plus factice que le test de la recherche des mots.

Comment se fait le passage du mot à l’idée ? Théoriquement, on supposera que le passage est direct et se fait par association d’idées ; le mot chien est associé à une certaine image, et si on prononce devant vous le mot, l’image est suggérée. J’admets volontiers que la pensée suit quelquefois ce raccourci, surtout dans les moments de distraction et d’automatisme ; mais dans nos expériences, où l’attention est éveillée, où on a l’intention bien arrêtée d’avance de tirer de chaque mot toute sa substance idéale, les choses sont plus compliquées : ce n’est pas une simple association d’idées qui fonctionne. L’opération ne peut être reconstituée qu’en utilisant les analyses partielles fournies par les deux fillettes ; jamais elles n’en ont donné une description synthétique, et je ne la leur demandais pas ; en groupant des observations fragmentaires, je suis arrivé à admettre que l’opération totale comprend 4 phases, qui sont : 1o  l’audition du mot ; 2o  la perception de son sens ; 3o  un effort pour évoquer une image ou préciser une pensée ; 4o  l’apparition de l’image.

Donc, le premier fait, c’était l’audition du mot ; elle précède la perception du sens, c’est logique ; on pourrait croire, on a même affirmé[1] que les deux faits se suivent si rapidement que leur distinction n’est pas sentie. Armande n’est pas de cet avis. « D’abord, me dit-elle un jour spontanément, le mot ne me dit rien par lui-même.

  1. Berkeley, par exemple, écrit : « Nous n’entendons pas plus tôt prononcer à nos oreilles les mots d’une langue qui nous est familière qu’aussitôt les idées qui y correspondent se présentent d’elles-mêmes à notre esprit ; c’est absolument dans le même moment que le son et sa signification pénètrent dans l’entendement, si intimement liés qu’il ne dépend pas de nous d’écarter l’un des deux, sans que cela même exclue l’autre également. » Nouvelle théorie de la vision, p. 51, trad. franç. ; cité par Dugas.