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ET CRITIQUE

conté que les faits saillants, je propose pour le passage de l’autobiographie l’interprétation suivante : « Après mon voyage d’Allemagne, l’événement qui mérite d’être relaté est la grave maladie qui causa ma surdité ; puis l’an qui suivit cette maladie, je m’épris de Cassandre ». Or, il est très possible que Ronsard n’ait senti les premières atteintes de son mal qu’en 1542 et qu’il soit resté malade deux ou trois ans. Cette hypothèse, à laquelle rien ne s’oppose, est seule capable de faire disparaître la contradiction. (Voir à ce sujet ma Jeunesse de Ronsard, dans la Rev. de la Renaissance de mars 1902, pp. 150 et 151.)

Quant au lieu de la rencontre entre Ronsard et Cassandre Salviati, Ronsard ne l’a pas seulement fait connaître dans son autobiographie, mais encore dans un sonnet de 1552, dont voici les quatrains, tels que Binet les lisait dans l’édition de 1584 :

Ville de Blois, naissance de ma Dame,
Sejour des Roys et de ma volonté.
Où jeune d’ans je me vy surmonté
Par un œil brun qui m’outre-perça l’ame :
Chez toy je pris ceste premiere flame.
Chez toy j’apris que peult la cruauté,
Chez toy je vy ceste fiere beauté,
Dont la memoire encores me r’enflame.

P. 15, l. 19. — maintefois. Ronsard dit souvent qu’il a le nom de Cassandre gravé dans le cœur à l’égal des beautés physiques de sa dame. V. par ex. les sonnets Mille vrayment, et Depuis le jour que (Bl., I, 30 et 61). l’ode Le cruel Amour, vainqueur (Id., II, 226, début), l’élégie L’absence ny l’oubly (Id., IV, 395), et le passage de l’autobiographie cité dans la note précédente. Ne serait-ce pas une imitation de Pétrarque, sonnet v, deuxième vers :

E ’l nome che nel cor mi scrisse Amore...


et canzone i (après la mort de Laure), vers 49 et 50 :

L’altra e ’l suo chiaro nome
Che sona nel mio cor si dolcemente... ?

(éd. Camerini, pp. 36 et 252.)

P. 15, l. 23 — Joachim Du Bellay. Je pense, avec Mlle Evers, que cette anecdote d’une rencontre fortuite de Ronsard et de Du Bellay dans une « hostellerie », alors qu’ils revenaient tous deux de Poitiers, est fort suspecte, pour les raisons suivantes : 1° On n’en trouve pas trace ailleurs que dans Binet ; rien qui puisse la fonder, ni dans les œuvres des deux poètes, ni chez les autres panégyristes, Du Perron, Velliard, Critton, Ste-Marthe. 2° Dans Binet même elle n’apparaît qu’à partir de la 3e rédaction, comme un enjolivement, analogue à la prétendue querelle de propriété littéraire qui aurait éclaté en 1549 entre les deux poètes, et dont H. Chamard a montré l’inanité (v. ci-après, p. 123, au mot « annotations »). 3° Le passage contient trois autres assertions qui sont fausses ou contestables : l’une, sur la date même de la rencontre des deux poètes et de l’entrée de Du Bellay à Coqueret (v. ci-dessus, p. 109, au mot « quarante neuf ») ; la deuxième sur les influences littéraires