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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

du sens critique. À l’examen, un professeur aurait dû lui proposer une discussion de questions d’espèces ; là, on est bien obligé de raisonner, pour chercher quel est l’article de loi qui s’applique, pour prendre l’essentiel d’une situation ou trouver son chemin à travers des intérêts opposés. J’ai constaté bien souvent que la discussion des espèces le déroute complètement. Mais ses professeurs de droit ne s’en sont pas aperçus ; ils ont commis la même erreur que les examinateurs du baccalauréat et les professeurs de lycée. Maintenant, il vient d’être reçu avocat ; il est en pleine carrière libérale. Il ne plaidera pas, je le suppose, car la parole est indiscrète et peut montrer le fond des gens. Je le vois plus volontiers dans la magistrature assise. N’est-ce pas dommage ? Dans son intérêt, comme dans le nôtre, il aurait infiniment mieux valu le diriger vers des emplois plus modestes, où il aurait pu rendre des services.

De tout ceci résulte que notre conclusion sur l’utilité d’une mémoire grande a besoin d’être nuancée. Il n’est pas juste de décrier la mémoire ; il n’est pas juste non plus d’en dire trop de bien. Son mérite dépend de l’usage qu’on en fait ; comme les langues, dont parle Ésope, elle peut servir au meilleur ou au pire ; ou pour voir les choses d’un œil plus philosophique, il est à souhaiter que la mémoire suive le développement de l’intelligence et s’y proportionne.


À quel moment la mémoire atteint-elle son maximum de puissance ? Il est incontestable que l’éducateur doit attendre qu’une fonction soit dans le meilleur état possible pour lui demander le maximum de travail. Or, d’après une opinion courante, les enfants ont une bien meilleure mémoire que les adultes ; et d’après des expériences nombreuses qui ont été faites dans les laboratoires, c’est l’adulte qui a montré la meilleure mémoire, constamment ; de même, si on