Page:Binet - Les Idées modernes sur les enfants.djvu/180

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
LA MÉMOIRE

sait reproduire par des classes d’élèves des mots lus ou entendus ; c’étaient les enfants les plus âgés qui en répétaient le plus grand nombre, environ deux de plus. Mais trois jours après, si on cherchait ce que la mémoire avait retenu, on trouvait une égalisation[1]. Un autre procédé m’a servi, celui de la reconnaissance. J’ai fait lire à haute voix par le maître dans chaque classe d’une école une liste de cent mots détachés ; et les enfants devaient reproduire par écrit tout ce qu’ils se rappelaient. Or, le nombre de ces mots n’a guère varié avec l’âge ; de huit à treize ans, il a présenté la série de valeur moyenne que voici : 15, 11, 14, 14, 18 et 16 mots ; c’est à peine si on voit un léger accroissement. On a ensuite essayé de leur faire reconnaître ces mots, après les avoir confondus avec d’autres que les enfants n’avaient pas entendus ; et la mémoire de reconnaissance chez les plus jeunes est restée équivalente à celle des plus âgés. De huit à treize ans, la série moyenne de mots reconnus, sur 100, a été de 64, 58, 63, 50, 61, 57 ; aucune indication de progrès ne s’aperçoit et il faut en conclure que si les résultats sont équivalents, c’est plutôt la preuve que la mémoire, entre huit et treize ans, non seulement n’augmente pas, mais encore s’affaiblit, car si elle restait stationnaire, les plus âgés ont une telle supériorité au point de vue de l’attention et du jugement qu’ils tireraient certainement de leur mémoire des produits meilleurs. Concluons donc que puisque la mémoire est à son apogée dans l’enfance, il faut surtout la cultiver dans l’enfance, et profiter de sa plasticité pour y imprimer les souvenirs les plus importants, les souvenirs décisifs dont on aura le plus besoin plus tard dans la vie.

  1. E. A. Kirkpatrick. Psychological Review, I, no 6, 1894, p. 602.