Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/198

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pu en choisir un autre ; mais on lui montrera le contraire en refaisant la même expérience, ce qui le met dans l’impossibilité temporaire de penser à un autre chiffre que celui-là. J’ai aussi employé quelquefois l’artifice suivant qui intrigue beaucoup les malades ; on écrit un chiffre quelconque, par exemple trois, sur un morceau de papier, qu’on plie en quatre, puis on donne ce papier au malade en le priant de choisir un chiffre quelconque et d’y penser quelques instants ; pendant que le malade cherche le chiffre, on fait sur sa main anesthésique trois piqûres, ce qui l’oblige à penser au chiffre trois ; puis, quand il a déclaré ce trois qu’il croit avoir choisi au hasard, on lui fait déplier le papier, et on lui montre qu’on avait prévu d’avance sa pensée ; la réussite de cette petite expérience est à peu près certaine.

Tout ce qui précède montre bien que le malade ne saisit point l’origine de l’idée qui vient tout à coup, brusquement, envahir le champ de sa conscience normale. Jamais, remarquons-le avec insistance, jamais les sujets que nous avons étudiés ne se sont doutés de l’origine de ces idées ; la séparation de conscience a toujours été complète, absolue, malgré les communications qui s’établissent entre les deux consciences.

C’est un des caractères les plus curieux de cette expérience que l’état d’obsession où elle place la personne pendant un moment ; cet état commence parfois dès qu’on fait la première piqûre ; le sujet ne peut pas penser à un nombre avant que la série de piqûres soit terminée, fût-elle de cent ; et, comme nous l’avons dit, c’est le nombre des excitations qui s’impose à son esprit. Il y a cependant quelques sujets qui réussissent à se soustraire à cette action obsédante, en employant un subterfuge ; priés de penser à un chiffre, ils se servent du nombre des excitations comme chiffre des dizaines, ou bien ils peuvent le faire entrer dans une autre combinaison.

À la longue, quand les expériences se répètent, les idées suggérées par des perceptions inconscientes deviennent