Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et qui cependant contient l’indication de presque tous les résultats de la psychologie contemporaine.

« Les manifestations spirites elles-mêmes, dit M. Taine, nous montrent la coexistence, au même instant, dans le même individu, de deux volontés, de deux actions distinctes, l’une dont il a conscience, l’autre dont il n’a pas conscience et qu’il attribue à des êtres invisibles.

« J’ai vu une personne qui en causant, en chantant, écrit, sans regarder son papier, des phrases entières, sans avoir conscience de ce qu’elle écrit. À mes yeux, sa sincérité est parfaite ; or, elle déclare qu’au bout de la page elle n’a aucune idée de ce qu’elle a tracé sur le papier ; quand elle lit, elle en est étonnée, parfois alarmée. L’écriture est autre que son écriture ordinaire. Le mouvement des doigts et du crayon est raide et semble automatique. L’écrit finit toujours par une signature, celle d’une personne morte, et porte l’empreinte de pensées intimes, d’un arrière-fond mental que l’auteur ne voudrait pas divulguer. Certainement on constate ici un dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries parallèles et indépendantes, de deux centres d’action ou, si l’on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le même cerveau ; chacune a une œuvre, et une œuvre différente, l’une sur la scène, l’autre dans la coulisse. »

Nous allons maintenant étudier de près, et dans tous ses détails, cette curieuse situation psychologique d’une personne en état de dédoublement. Pour établir tout de suite le plan de notre exposition, nous indiquerons quelles sont les conditions les plus fréquentes où l’on peut observer la coexistence de deux moi distincts. Elles sont au nombre de deux. La première, c’est l’insensibilité hystérique ; si une partie du corps d’une personne est insensible, elle ignore ce qui s’y passe, et d’autre part les centres nerveux en relation avec cette région insensible peuvent continuer à agir, comme cela a lieu dans l’hystérie ; il en résulte que certains actes, souvent simples, mais parfois très compliqués, peuvent s’accomplir dans le corps d’une hystérique