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Chénier, la muse de la Raison. En effet, son esprit élevé, grave, judicieux la transportait aisément des doux rêves de la poésie à la science aride des mathématiques. Cette égale aptitude à des travaux si opposés, rappelle la pro¬ digieuse faculté de l’Emilie de Voltaire, qui se plaisait à passer de l’examen de poésies badines aux commentaires sur Newton.

Mme Constance Pipelet, pendant les jours terribles de 03, avait cherché un refuge dans la solitude des lettres. L’ouragan politique promenait la mort sur toutes les têtes, et notre poëte se hâtait de vivre par l’étude ; elle craignait de lui dérober un seul des instants que la ter¬ reur menaçait sans cesse, et voulait s’assurer du moins qu’elle ne mourrait pas tout entière. Tranquille au bruit de la tempête, déployant le courage que donne la con¬ science du talent, elle fondait son brillant avenir. Ses nombreuses productions étaient toujours accueillies d’un public qui, lassé de la tourmente révolutionnaire, reve¬ nait avec empressement à des goûts nobles et purs. Bientôt elle fit représenter la tragédie lyrique de Sapho. Un plan habilement conçu, des détails charmants, des situations fortes, des caractères mis en relief par de savants contrastes, un intérêt soutenu, un style concis, naturel, harmonieux, révélèrent un talent fait pour ho¬ norer la scène. Le célèbre compositeur Martini, déjà dans un âge avancé, couronna dignement sa carrière en prêtant à ce bel ouvrage ses inspirations mélodieuses. Le succès de cet opéra fut immense : plus de cent re¬ présentations ne purent rassasier l’avidité d’un public qui, longtemps privé des arts, aimait à puiser dans les nobles fictions de la scène l’oubli des maux réels dont il éprouvait encore l’amer ressentiment.

A cette époque, les femmes de lettres étaient en petit nombre ; mais elles se distinguaient par de véritables