Page:Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises.pdf/174

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« S’ils savaient combien ils me font plaisir en me mettant « à même de leur être utile, ils n’auraient pas tant de « reconnaissance,» celle-là, dis-je, devait porter le même renoncement en toutes choses. Elle n’avait pas besoin de craindre l’injustice des hommes pour faire le sacrifice des éloges qu’appelaient sur leur auteur ses nombreux ouvrages ; le désintéressement était chez elle une vertu naturelle.

Disons pourtant que si le public ne la connut point, l’incognito ne fut point gardé pour tout le monde. Belle- sœur du respectable Àngran d’AIleray, lieutenant civil du Châtelet de Paris, et l’une des victimes de la révolution, elle eut pour amis dévoués des hommes du premier mé¬ rite. Jussieu, Ànquetil, Lavoisier, Malesherbes, Macquer, Sainte-Palaye, lui faisaient assidûment leur cour. Elle était l’âme de ce cercle d’élite. Son esprit fin et délicat, ses connaissances variées et son âme exquise, donnaient un charme inexprimable à ses conversations. On ne se lassait point de l’entendre. Les moindres choses en pas¬ sant par sa bouche se revêtaient des grâces de sa pensée. Toutes les questions lui étaient familières ; littérature, histoire, morale, science, philosophie, elle apportait dans tous ces sujets la lucidité et l’élévation qui la ca¬ ractérisaient.

C’est encore ici, entre beaucoup d’autres exemples, une preuve de la nécessité de réfléchir longtemps avant d’écrire. La pensée est un fruit rarement bon quand il est trop précoce. Il n’en est pas des sciences et des lettres comme des arts. Jeune, on peut être excellent peintre ou excellent musicien : en général les arts, où l’œil et la main constituent une grande partie du talent, accom¬ plissent leurs progrès dans la jeunesse ; mais le littérateur, le savant, le philosophe, n’atteignent à de grandes hau¬ teurs que dans la saison de l’âge mur.