Page:Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises.pdf/371

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Nous permettra-t-on de motiver un peu notre assertion ?

Oui, les poëtes ont toujours ou auraient toujours été d’excellents prosateurs. Seulement, il faut bien recon¬ naître qu’au siècle de Louis XIV, où chaque individu, comme chaque classe, fonctionnait (qu’on nous passe l’expression ) dans le cercle de ses facultés dominantes et dans les conditions de sa destinée, les poëtes ne fai¬ saient guère que de la poésie, et même de la poésie en vers. Depuis Voltaire, toutes les digues de .la spécialité littéraire ont été rompues ; et de même qu’il est parti de son chef-d’œuvre d ’OEdipe pour se lancer dans son admirable prose, ainsi tous les poëtes qui ont succédé ne se seraient pas regardés comme complets, s’ils n’a¬ vaient pas produit leur livre de prose. Ce culte de la spécialité était poussé si loin dans le grand siècle, que chaque poëte ne cherchait la gloire et n’exerçait son ‘ génie que dans un seul genre. Racine faisait la tragédie ; Molière, la comédie ; La Fontaine, la fable ou le conte ; Boileaul’épître ou la satire ; J.-B. Rousseau, l’ode ou la cantate ; et personne ne songeait à exiger d’eux l’uni¬ versalité : on se contentait de la perfection. Si les poëtes d’alors se servaient quelquefois de la prose, ce n’était guère que pour faire cortège à leur poésie (voyez les Discours de Corneille sur les unités ), ou comme d’une arme pour combattre quelque opinion hors de la litté¬ rature ( voyez les lettres de Racine à l’auteur des Hérésies imaginaires) ; mais quelle éloquente logique dans la prose de Corneille, et quel atticisme piquant dans celle de Racine ! C’est que le poëte n’a qu’à replier ses ailes pour s’abattre en aigle dans la région de la prose ; tan¬ dis qu’il n’y a pas d’exemple d’un grand écrivain qui soit monté de la prose à la poésie. J.-J. Rousseau lui- même, le génie de la prose, n’a pu produire que des vers sans chaleur et sans couleur.