Page:Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises.pdf/401

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C’est que j’ai goûté du fruit terrible dont parle l’Écri¬ ture : j’ai voulu connaître ce qui devait me rester caché.

Simplicité des besoins, amour serein du vrai, senti¬ ments fiers et sacrés, vastes élans de l’âme, n’apparais¬ sez-vous qu’une fois dans la vie?… Où est la destinée espérée?… Que nous font des années qui tombent une à une dans le vide?… Que nous font des jours dont l’emploi est si vain ? De tous ces jours que l’on compte avec tant de sollicitude, auxquels on donne une atten¬ tion grande, en est-il un seul, dans la vie la plus longue r dont on ne voulût retrancher quelque chose ?

Que n’ai-je pas senti ? La foi s’était retirée de mon cœur. C’était avec un muet désespoir que j’essayais de prier. La prière se glaçait sur mes lèvres : le nom de Dieu ne s’y plaçait plus de lui-même, j’avais besoin de le chercher. Oh ! qu’alors j’aurais accueilli à genoux et avec des bénédictions de larmes les souffrances du re¬ mords ! Que j’aurais dit avec volupté la parole du faible, celle aussi du grand coupable : Seigneur, ayez pitié de moi!… A] mesure que je m’initiais, bien malgré moi, à cet état inconnu, je recevais des impressions de tous les bruits, de tous les mouvements extérieurs ; ma vie se mêlait à tout, j’étais l’univers. Plus tard, je traversai cette vie comme un fantôme, sans curiosité, n’ayant que les froids besoins dont parle un grand penseur *. L’inutilité de mes jours me pesait sans faire naître en moi de généreux mouvements. Et que les distractions des élus du monde me semblaient risibles I Leurs tristesses étaient bien mes¬ quines, bien vaines ; pourtant je m’y intéressais encore. Vous ne permîtes pas, ô mon Dieul que la pitié, ce dernier lien qui unit la créature à une autre créature, se brisât aussi en moi ! Dans mon existence torturée,


M. de Sénancour.