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nouvelle famille, et prit pour seconde épouse Alix, fille de Godefroid le Barbu, premier duc de Lotharingie de la maison de Louvain.

Cette princesse, que les chroniqueurs du xiie siècle appellent tantôt Alix, Aléis ou Adeliza, tantôt Eliza, Athelinde ou Adèle, et dont Philippe Mouskès, de même que l’annaliste de Waverley, vante la rare beauté, l’esprit et la grâce, fut conduite en Angleterre par une suite nombreuse à la tête de laquelle se trouvait Francon, abbé d’Afflighem. La cérémonie du mariage s’accomplit en grande pompe à Windsor, immédiatement après la fête de la Chandeleur, l’an 1122, et, à la Pentecôte suivante, la jeune reine, à qui son époux avait assigné comme douaire le château et le comté d’Arundel, dans la province de Sussex, fut solennellement couronnée, dans l’abbaye de Westminster, par Raoul, archevêque de Canterbury.

Depuis le moment où la belle Alix fut unie au roi Henri, quelle action exerça-t-elle sur l’esprit et sur le cœur de ce monstre historique, qui fit maudire par un contemporain l’institution de la royauté comme une inspiratrice de crimes : res regia scelus ? Nous l’ignorons. Seulement il nous est permis de conclure que cette influence n’a dû guère être puissante ; car nous voyons le roi continuer à faire peser durement son épée sur les vaincus et ceux-ci continuer à protester par la bouche de tous leurs chroniqueurs contre les violences et les atrocités de leur maître et de ses barons. Évidemment un esprit délicat et jeune, comme l’était celui d’Alix, dut se sentir mal à l’aise à côté du farouche vieillard à qui elle était associée. Et ce fut là peut-être un des motifs qui lui inspirèrent de chercher un refuge intellectuel dans la sereine distraction des lettres ; car, dès ce moment, nous la voyons prendre une part active, sinon tout à fait directe, au développement de la poésie française chez les Normands.

On le sait, Guillaume le Conquérant ne s’était pas borné à déposséder les Anglo-Saxons et à saisir non-seulement leurs terres, mais encore leurs revenus et leurs meubles, pour les distribuer entre ses compagnons d’armes. Il voulut aussi confisquer la langue des vaincus et y substitua la langue française dans tous les actes publics, même dans les homélies religieuses et dans les cours de justice où un témoignage n’était valable que pour autant qu’il fût rendu dans l’idiome des vainqueurs. Si ce fut à cette époque surtout qu’on vit s’implanter dans la littérature française une foule de légendes et de traditions anglo-saxonnes, particulièrement celles du cycle d’Arthus, le héros national dont les vaincus attendaient la résurrection pour les venger des humiliations auxquelles ils étaient soumis, — on vit en même temps, grâce aux mesures du roi normand, s’opérer au delà du détroit l’intrusion d’une multitude de formes et de vocables français dont le mélange avec l’idiome indigène constitue la langue anglaise. Mais l’appât de la conquête n’avait pas uniquement tenté les hommes de guerre. Des aventuriers de toute espèce, jusqu’à des moines fugitifs, émigrèrent vers cette terre ouverte à tous les genres de rapacité, ceux-là pour s’approprier un simple champ avec métairie, ceux-ci pour s’emparer d’une église ou d’une plantureuse abbaye. Les poëtes et les ménestrels normands n’avaient pu manquer de prendre le même chemin, les uns pour essayer de s’attacher à quelque personnage nouveau, les autres pour égayer les loisirs des familles de tant de châtelains enrichis par l’épée.

De ce nombre fut probablement le poëte inconnu qui, parlant de la princesse belge, s’exprimait en ces termes :

Donna Aaliz la roïne,
Par qui valdrat lei divine.
Par qui creistrat lei de terre
Et remandrat tante guerre
Par les armes Henri le rei.

et qu’elle engagea elle-même à versifier cette mystérieuse légende de saint Brandain qui a jeté des racines si profondes dans toutes les littératures de l’Europe pendant le moyen âge.

L’Histoire littéraire de la France nous fait connaître un autre trouvère qui entretint des relations poétiques avec Alix de Louvain : c’est le normand Philippe de Thaün, des environs de Caen, qui rima, sous le titre de Bestiaire, une sorte d’imitation