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pensons que l’on peut, sans risquer de trop s’éloigner de la vérité, rapporter la mort du ménestrel brabançon à l’une des quinze dernières années du xiiie siècle.

Il nous reste d’Adenès quatre grandes compositions épiques : les Enfances Ogier, Berte aux grans piés, Buevon de Commarchis et Cléomadès. La deuxième est la seule qui ait été publiée jusqu’à ce jour.

Celle des Enfances Ogier, qui comprend au delà de 8 000 vers et que l’on regarde comme le premier ouvrage de notre ménestrel, est, d’après l’analyse qu’en a donnée M. Paulin Paris, une paraphrase un peu traînante, quoique généralement versifiée avec élégance, du poëme rude, mais animé, que Raimbert de Paris écrivit, au commencement du xiii siècle, sur les aventures de cet Ogier le Danois dont la merveilleuse légende se mêle si étroitement à celle des paladins de Charlemagne.

Le deuxième poëme créé par Adenès est Berte aux grans piés. Il a pour sujet la légende de cette Berthe, fille du roi Flore de Hongrie, dont les romanciers du moyen âge ont fait la mère de Charlemagne, soit d’après une chronique provençale, inédite encore, mais mentionnée par M. Paulin Paris (Hist. litt. de la France, t. XX, p. 702), soit d’après la chronique allemande de Weihenstephan que l’on rapporte au xiii siècle et que le baron von Aretin nous a fait connaître (Aelteste Sage ueber die Geburt und Jugend Karls des Grossen), soit d’après des récits populaires dont Godefroid de Viterbe (Chronic., part. XVII, ap. Pistor, t. II, p. 300) s’était déjà fait l’écho un siècle avant Adenès, et peut-être même antérieurement à la chronique provençale dont il vient d’être parlé[1].

Buevon de Commarchis, qui est la troisième chanson de notre poëte et que l’on regarde comme la plus faible de ses productions, constitue une simple imitation ou plutôt un simple remaniement du Siége de Barbastre, l’une des branches du cycle romanesque d’Aimeri de Narbonne et de ses enfants.

Enfin, le dernier ouvrage d’Adenès, c’est le roman de Cléomadès. Il est le plus considérable des écrits de notre ménestrel ; car il ne comporte pas moins de 18 844 vers octosyllabiques. La scène se passe sous le règne de Dioclétien et le sujet paraît emprunté aux traditions espagnoles ou mauresques.

C’est un roman d’aventures dont celui de Valentin et Orson, si populaire qu’il soit encore aujourd’hui, n’est qu’une contrefaçon grossière, et dont la bibliographie nous fait connaître plusieurs reproductions, en prose française et espagnole, publiées vers la fin du xve et au commencement du xvie siècle. Sans doute, comme s’exprime le savant éditeur du roman de Berte aux grans piés, le poëme de Cléomadès est trop long pour offrir une lecture constamment attachante ; mais il abonde en traits intéressants pour l’histoire des mœurs contemporaines. Il est précieux pour notre pays à un double titre, d’abord parce qu’il est l’œuvre d’un Brabançon, ensuite parce qu’il nous donne un aperçu des pérégrinations que Gui de Flandre a dû faire dans différentes parties de l’Italie, en 1270 et en 1271, et qu’il fournit plusieurs détails précieux sur les ducs de Brabant Henri III et Jean Ier. Aussi la commission chargée par l’Académie royale de Belgique de mettre en lumière les grands écrivains nationaux qui se sont exprimés en langue française, a-t-elle décidé que Cléomadès fera partie de cette série de publications, et c’est à l’auteur de la présente notice qu’est dévolu l’honneur de procurer la première édition de cet ouvrage.

André Van Hasselt.

ADOLPHE DE WALDECK, évêque

  1. Dans le cours de cette notice, nous avons constamment écrit Berte aux grans piés par respect pour l’orthographe des manuscrits existants. Mais nous croyons qu’il faut lire Berte au gran pié, conformément à la légende allemande, d’après laquelle la mère de la véritable Berthe (appelée Bertha mit dem grossen Fuss) reconnut sa fille à la différence qu’il y avait entre les deux pieds de la prétendue mère de Charlemagne et conformément à ce vers de Godefroid de Viterbe qui, parlant de Pepin le Bref, dit :

    Eius sponsa fuit grandis pede nomine Berta.

    D’ailleurs, cette opinion s’accorde parfaitement avec les Reali di Francia, où il est dit (lib. VI, cap. II) : Io vi avviso che Berta ha un piè un pocco maggior dell’altro, ed e il piè destro.