Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/126

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les états de Brabant députèrent à Philippe II un interprète de leurs doléances ; en même temps, ils envoyèrent à Rome, sans le dire tout haut, Charles du Moulin, chargé de lettres pressantes du prince d’Orange et surtout de Jean de Berghes. Ces démarches mécontentèrent Philippe sans amener aucun résultat, si ce n’est l’éloignement des troupes étrangères. Cependant les religionnaires ne se laissèrent point intimider : il y eut, en 1562, des prêches publics à Tournai et à Valenciennes ; on se permit même de chanter au grand soleil les psaumes de Marot. Marguerite écrivit en toute hâte aux gouverneurs Montigny et De Berghes, en ce moment à Bréda, où ils étaient allés complimenter le prince d’Orange, qui venait de se marier en Allemagne. Montigny accourut à Tournai, fit brûler une quantité de livres hérétiques et mettre à mort le prédicant. A Valenciennes, Jean de Berghes ordonna l’arrestation de deux calvinistes ; mais il différa leur supplice, malgré les ordres formels de la gouvernante, et s’en fut trouver à Liége son frère Robert, dont la santé avait éprouvé une rude atteinte. Il prolongea son séjour en cette ville ; Marguerite l’ayant sommé finalement de revenir à son poste, il répondit sans détour « qu’il n’était ni de son honneur ni de sa charge, de se faire le bourreau des hérétiques. » Le roi, informé de ce qui se passait, regarda dès lors le marquis De Berghes comme un des chefs de l’opposition. Cette opinion, pour le dire en passant, fut constamment ratifiée par les lettres de Granvelle. Le magistrat de Valenciennes reçut des injonctions relativement à l’exécution des prisonniers : il voulut obéir ; le peuple s’émut, fit tomber sur les archers une grêle de pierres et dispersa les fagots préparés pour le supplice. On força la prison ; mais pour montrer clairement que cet acte n’avait rien de séditieux, on n’en retira que les deux sectaires, et l’on fit savoir incontinent au magistrat que tout rentrerait dans l’ordre, du moment où l’on serait assuré qu’il serait loisible aux réformés de pratiquer librement leur culte. Marguerite, effrayée, essaya de contenir les esprits jusqu’à l’arrivée de Berghes, qui était encore à Liége. Celui-ci se montra dès qu’il entendit parler d’émeute et de désordres ; mais il trouva la ville parfaitement paisible. Il y eut néanmoins quelques poursuites ; le calme se rétablit : mais qui pouvait répondre de l’avenir ?

Les adversaires des mesures de rigueur demandèrent le concours des états généraux ; Berghes voulut même provoquer une assemblée des évêques, prélats et docteurs, qui se serait occupée de réformes ecclésiastiques. La duchesse résista et se plaignit à Philippe II de l’attitude du gouverneur du Hainaut. Le roi approuva sa sœur ; quant à Berghes, il reçut l’ordre de ne plus s’absenter ; c’était un moyen, dans la pensée de Philippe, de l’amener à résilier ses fonctions. Le marquis fit la sourde oreille, passa son temps à négocier avec le chapitre de Liége au sujet de l’abdication de son frère Robert, et parut ne s’inquiéter guère de la propagande que faisaient les protestants à Valenciennes. « Il est abusif de punir de mort les délits en matière de religion, » disait-il souvent, et Granvelle ne manquait pas de rapporter ces paroles au roi. Montigny, de son côté, commençait à devenir suspect ; son beau zèle de Tournai s’était singulièrement refroidi. Embarras sur embarras : Granvelle était devenu le point de mire de l’opposition : une ligue venait de se former contre lui entre le prince d’Orange, les comtes d’Egmont, de Hornes et de Meghen ; Berghes et Montigny n’avaient pas été des derniers à y entrer. Ils demandèrent positivement le renvoi du cardinal. La réponse royale se fit attendre ; Philippe temporisa, suivant le conseil du duc d’Albe, pour travailler à diviser les mécontents[1]. Granvelle avait rêvé la défection du comte d’Egmont ; il n’y réussit pas. Loin de là, le cardinal s’étant rendu à Malines, d’Orange et d’Egmont reparurent au conseil d’État, dont ils s’étaient depuis quel-

  1. « Il faut faire des caresses à d’Egmont pour le détacher de la ligue, écrivait le duc d’Albe. Quant à ceux qui méritent qu’on leur coupe la tête, il faut dissimuler avec eux, jusqu’à ce que cela puisse se faire. » (Corresp. de Philippe II, t. I, p. 272.)