Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/159

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il ne convenait pas à celui-ci d’avoir un rival. Fisen rapporte que Rocka fut arrêté sans motif aucun et décapité au mois de mars 1486; selon d’autres, Guy l’aurait tué de sa main. Quoi qu’il en soit, cette exécution ou ce meurtre frappa d’effroi la capitale et fit perdre à son auteur la confiance du parti populaire. Les héritiers et les proches du défunt, sachant le sire de Kanne aussi avide d’argent que de sang, s’accommodèrent avec lui et usèrent de son crédit pour obtenir du clergé et du peuple le commandement ou la garde de la forteresse de Montfort. Cette affaire arrangée, Guy jeta tout à fait le masque et acheva de se rendre odieux. On vient de dire qu’il n’était pas indifférent a ses intérêts pécuniaires : l’année précédente, il s’était fait accorder pour trois ans le produit de quelque impôts, en compensation du sacrifice de 15,000 florins qu’il prétendait avoir fait pour solder les troupes allemandes appelées à Liége; il venait encore de réussir, au commencement de l’année 1486, à obtenir la même faveur pour une nouvelle période de deux ans. Or les troupes allemandes ne servaient qu’à maintenir dans la ville l’autorité de Guy, pendant que celui-ci courait les campagnes pour enlever du butin. Le tyran finit par se mettre en tête de faire construire, à Sainte-Walburge, une citadelle destinée à ses sicaires. La consternation régnait dans la cité; mais on n’osait murmurer. Guy ramassa en France une soldatesque capable de tout et poursuivit de plus belle le cours de ses rapines. Ni l'âge ni le sexe ne furent épargnés; chaque jour éclairait de nouveaux massacres, des indignités et des horreurs sans nom. Cependant, un pareil terrorisme ne pouvait durer longtemps. Les Allemands ayant été envoyés à Saînt-Trond, quelques jeunes gens déterminés résolurent de profiter de la circonstance. Ils s’organisèrent en plusieurs corps et convinrent de se réunir à Sainte-Walburge le 28 mars 1486, jour de la seconde fête de Pâques. Leur but était de surprendre la forteresse, d’en combler les fossés et de la démolir jusqu’à la dernière pierre. Ce projet fut éventé : Guy dépêcha contre eux le bailli de Montegnée avec un détachement; l’ouvrage commencé fut suspendu, l’ennemi lapidé et forcé de se replier sur la ville. Un envoyé partit aussitôt pour Saint-Trond, afin d’aller chercher les Allemands; mais il était trop tard. Devinant le dessein de Guy, qui méditait une réparation sanglante et n’aurait certes pas plus épargné les pères que les enfants, la population se souleva en masse. Le 29, au point du jour, tous les corps de métiers étaient rassemblés dans leurs chambres respectives, armés jusqu’aux dents. Les bourgmestres Gilles de Huy et Tilman Valdorial[1] portèrent aussitôt un décret dégradant Guy de Kanne de tous ses emplois et fonctions, lui ordonnant de consigner les clefs de la ville aux mains des magistrats, et adjoignant à ceux-ci un conseil d’hommes sûrs et bien intentionnés, pour administrer provisoirement la chose publique[2]. Les avenues et les endroits les plus exposés de la cité furent munis de bonnes gardes; en même temps, les gens des métiers, précédés de leurs bannières et de leur panonceaux, vinrent se ranger en bon ordre sur la place du Grand-Marché, suivis de nombreux rivageois venus tout exprès à Liége. Guy de Kanne, qui se trouvait alors dans l’église de Saint-Lambert, voulut payer d’audace : il s’avança sur les degrés du portail presque sans escorte, persuadé sans doute que la seule terreur de sa présence ou son éloquence si souvent entraînante lui ferait avoir raison de la multitude. L’attitude résolue des métiers parut l’embarrasser; il s’arrêta... Au même instant, un homme du peuple fit un pas vers lui et l’assomma d’un coup de maillet... Sa chute fut le signal de la dispersion de tous ses partisans : Robert de la Marck s’enfuit en toute hâte vers Saint-Trond, avec quelques soldats. La foule s’acharna sur le cadavre de Guy et le traîna jusqu’aux Frères-Mineurs, où il fut inhume : « chaque oiseau, dit Mélart, donnait à cette chouette un coup de bec. » La réaction fut complète à Liége : l’abbé de Saint-Trond

  1. Le même qui fut tué par les partisans des De la Marck, lorsqu’ils s’emparèrent de Liége en 1488.
  2. Loyens attribue par erreur ce décret aux bourgmestres de 1485.