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laisser à aucun des deux fils la facilité de prédominer sur l’autre par la possession exclusive de l’Austrasie. Mais, Pepin mort, elle se fit jour avec une violence qui a fort bien pu contribuer à hâter la fin de Carloman. A la vérité, Éginhard, dans son panégyrique de Charlemagne, a l’air de nier cette rupture en rejetant toute la faute sur les dispositions hostiles de quelques-uns des principaux chefs austrasiens du royaume de Carloman qui déconseillèrent à celui-ci de prendre part, en 769, à l’expédition que son frère entreprit contre Hunold d’Aquitaine. (Einhard. Annal. ad ann. 769. Cf. Einhard. Vita Karoli Magni, cap. iii, v et xviii.) Mais la cause de l’animosité que les deux rois professaient l’un pour l’autre doit être plus sérieuse. Les plumes qui écrivaient sous l’influence directe de Charlemagne ou qui cherchèrent plus tard à complaire à ses descendants ne laissent échapper à ce sujet que quelques insinuations vagues, mais d’autant plus suspectes qu’elles sont moins désintéressées. Ainsi, dans sa fameuse lettre, Cathwulf félicite Charlemagne d’avoir été visiblement l’objet d’une protection spéciale du Ciel, Dieu l’ayant préservé dés embûches que lui tendait son frère comme Esaü à Jacob[1]. Ainsi encore, le poëte saxon, copiant quelques passages d’Éginhard, parle de l’animosité et de la haine que Carloman nourrissait contre son frère[2]. En quoi consistaient ces embûches? Aucun fait ne nous le prouve. Par quels actes ces haines se manifestèrent-elles? Aucun indice historique ne nous le fait connaître. De quelque côté que l’on se tourne dans ce mystère de famille, on voit se dresser devant soi des murailles. Un seul fait est positif, c’est qu’il y avait entre les deux frères une antipathie, disons même une hostilité réelle, et que la reine-mère Berthrade ne réussit qu’à grand’peine à maintenir entre eux une apparence de concorde. Après une longue conférence qu’elle eut à ce sujet avec le plus jeune des deux frères à Seltz, en Alsace, elle partit même pour Rome, en 770, à l’effet d’amener le Pape à intervenir pour les réconcilier l’un avec l’autre. Etienne s’interposa, en effet. Mais de quelle manière et en quels termes? Nous l’ignorons. Seulement nous possédons une lettre dans laquelle il exprime aux deux princes la joie qu’il a éprouvée en apprenant qu’ils ont fait la paix ensemble et qu’ils vivent en amitié comme deux véritables frères utérins et germains[3].

De l’histoire du règne de Carloman, il n’a rien survécu dans les chroniques contemporaines. Il semble qu’elles se soient donné le mot pour augmenter l’obscurité et le silence autour de ce prince; car il n’est guère possible d’admettre que, durant un règne de trois années, il ne se soit passé dans sa vie politique aucun événement digne d’être annoté par l’un ou l’autre de ces annalistes si prompts quelquefois à prendre note d’un miracle apocryphe ou d’un incident monastique sans aucune importance pour l’histoire. On ne peut se défendre de reconnaître dans ce mutisme général une sorte de préméditation systématique. A peine s’il reste du passage du jeune roi quelques chartes qui témoignent de sa libéralité envers différentes abbayes, particulièrement envers celles de Saint-Germain et de Saint-Denis.

Les scribes dévoués à Charles ne rompent le silence que pour annoncer tout à coup, vers la fin de 771, la mort de Carloman. Encore remarque-t-on, non sans une douloureuse surprise, qu’ils se bornent à consigner le fait avec une froideur et une sécheresse qui feraient presque croire que la disparition prématurée de cet infortuné était prévue et dans l’ordre naturel des choses. A peine si l’ingrate abbaye de Saint-Denis lui consacre ces deux lignes pour s’acquitter des libéralités dont elle a été l’objet : « Trespassa en la

  1. ... Ut de fratris tui insidiis in omnibus Deus le conservavit, ut de Jacob et Esau legitur. — Cathwulfi Epistola ad Carolum, ap. Bouquet, t. V, p. 635.
  2. Atque simultates illum rixasque moventem.
       Hic semper multum protulerat patiens.
          Poeta Saxo, lib. V. v. 177 seqq.
  3. ... Nunc, Deo propitio, in communem dilectionem et concordiam, ut vere uterinos et germanos fratres, vos connexos esse discentes, in magnam lactiliam convertere dignatus est. Epittol. Stephani Papæ, ap Bouquet, t. V, p. 539.