Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/274

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tion de ce pays ami accroît l’irritation des Suisses, qu’avaient déjà offensés les empiétements de l’ancien landvogt. Les ligues acceptent l’alliance offensive et défensive, que leur propose Louis XI ; puis, au mois d’octobre, adressent une lettre de défi au duc de Bourgogne. Bientôt la Franche-Comté est envahie, pendant que les Français ravagent impunément les campagnes de la Picardie, de l’Artois et du Hainaut. Charles s’obstinait devant Neuss, dont la reddition lui aurait livré Cologne et tout le pays rhénan. Enfin, l’armée de l’empire, commandée par Frédéric III en personne, apparaît et vient camper en face des Bourguignons. Mais, au lieu de livrer bataille, on conclut un accommodement : au mois de juin 1475, Charles repasse le Rhin. Le 12 juillet, il adresse aux états de Flandre, réunis à Bruges, une admonestation encore plus véhémente que celle de 1470. Il accuse les Flamands d’avoir, par leur économie sordide et leur tiédeur, fait échouer l’entreprise contre Neuss ; dur et menaçant envers le clergé et la noblesse, il traite plus rudement encore les représentants de la bourgeoisie, qu’il appelle injurieusement mangeurs des bonnes villes. Le 14 juillet, il était à Calais, où le roi d’Angleterre avait débarqué un corps de troupes. Mais Édouard IV ne tarde point à subir aussi l’influence de Louis XI : il accepte, dit-on, une pension de 60,000 écus par an, et des dons secrets sont, en outre, répartis entre ses principaux officiers. Charles, délaissé par les Anglais, conclut lui-même avec la France une trève de neuf ans, qui est signée, le 13 septembre, au château de Soleure, entre Luxembourg et Montmédy.

Croyant s’être assuré désormais de la neutralité de Louis XI, Charles tourne ses forces contre René II, duc de Lorraine, qui naguère lui avait envoyé, au camp de Neuss, un héraut, chargé de jeter à ses pieds le gantelet ensanglanté, signe d’une guerre à outrance. Trois mois lui suffisent pour arracher la Lorraine à René de Vaudemont, qui l’avait héritée du duc Nicolas, son cousin. Le 29 novembre, les Bourguignons sont maîtres de Nancy. Si Charles le Téméraire s’était en quelque sorte fixé dans cette précieuse conquête, qui rattachait aux Pays-Bas le duché de Bourgogne, quelle autre perspective s’ouvrait pour lui et ses descendants !

Mais il ne pouvait pardonner aux Suisses leur intervention armée ; à son tour il prit l’offensive en se faisant le protecteur de la duchesse de Savoie, dont la principale ville venait d’être mise à rançon. Après avoir rassemblé son armée à Toul (janvier 1476), il s’empare de la forteresse de Granson et, le 2 mars, livre aux Suisses une bataille dont l’issue fut désastreuse pour lui. Charles, qui a vainement tenté de rallier ses troupes, s’éloigne enfin et, accompagné seulement de cinq de ses serviteurs, atteint le bourg de Jougne, dans les gorges du Jura. Nous le trouvons ensuite à Lausanne, où il fut gravement malade, où il tomba même dans un état voisin de la démence, tant il avait ressenti l’humiliation de la terrible défaite de Granson. Il parut enfin se ranimer et ne songea plus, selon ses propres expressions, qu’à réhabiliter l’honneur de ses armes. L’ambassadeur du duc de Milan l’engageait à temporiser et à tâcher de vaincre les Suisses par la ruse et la lassitude. Il répondit qu’il était obligé de précipiter les choses parce que sa présence était devenue nécessaire en Picardie et dans les Pays-Bas. « Quand même, ajouta-t-il, les Suisses eussent fait des propositions d’accommodement, je n’y aurais point prêté l’oreille ; et celui qui m’en parlerait, fut-il mon meilleur ami, je le tiendrais pour ennemi, car j’ai fait vœu à Dieu, à Notre Dame et à Saint Georges de vaincre les Suisses ou de perdre la vie dans le combat. » Après deux mois de séjour à Lausanne, il est parvenu à rassembler autour de lui de nouvelles troupes dont il évalue l’effectif à 30,000 hommes. Le 9 mai, il les passe en revue, inspectant lui-même et faisant passer devant lui chaque compagnie à mesure qu’elle sortait de l’enceinte du camp. En voyant un grand nombre de gens de guerre sous les armes, il s’était senti tout à fait guéri. En vain Mathias Corvin, roi de Hongrie et de Bohême,