Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/327

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tant feust puissant, qu’il les eust sceu vaincre et mectre en obéissance[1]. »

Depuis que le différend avec les Gantois avait pris un caractère inquiétant, la reine avait, à diverses reprises et en des termes pressants[2], écrit à son frère, pour le supplier de venir aux Pays-Bas; elle ne voyait que dans sa présence le remède à la situation périlleuse où elle était; lui seul pouvait imposer aux séditieux, réprimer leur audace et rétablir l’autorité du gouvernement et des lois. Charles en était convaincu autant qu’elle même. Mais s’éloigner de l’Espagne lorsqu’il y avait à peine quelques mois qu’il y était de retour, ne lui était pas chose facile : les Castillans se plaignaient, en toute occasion, qu’il résidât si peu dans les royaumes d’où il tirait sa principale puissance; les observations qui lui avaient été faites à ce sujet aux dernières cortès de Valladolid avaient été renouvelées aux cortès de Tolède; il avait à craindre aussi que son éloignement de la Péninsule n’encourageât Barberousse, qui venait de reprendre Castel-Novo[3], à poursuivre ses entreprises dans la Méditerranée[4]. Il n’hésita plus en apprenant les événements des derniers jours d’août et du commencement de septembre. Afin d’arriver bientôt aux Pays-Bas, il résolut, malgré les remontrances de la plupart de ses ministres espagnols[5], de passer par la France : le roi lui avait fait témoigner le plaisir qu’il aurait à l’y recevoir et l’y accompagner[6].

Les Gantois ne crurent pas d’abord à ce voyage de l’empereur; ils étaient persuadés que les armements du Turc, qui menaçaient ses États d’Espagne et d’Italie, les difficultés que lui suscitaient les luthériens en Allemagne, et les affaires intérieures de ses royaumes, ne lui permettraient point de veniraux Pays-Bas. Dans cette persuasion, loin de songer à entrer en arrangement avec la reine, ils insistèrent pour qu’elle leur délivrât ceux de leurs concitoyens qui avaient cherché un refuge auprès d’elle; ils continuèrent de s’opposer à la levée, dans le quartier de Gand, de l’aide de quatre cent mille florins, déclarant qu’ils y résisteraient même par la force, prescrivant aux gens de loi des villages d’appréhender et de remettre entre leurs mains ceux qui tenteraient de les exécuter pour le payement de leur quote-part; ils firent prendre et amener dans leurs prisons deux hauts-pointres de la châtellenie de Courtrai auxquels on ne reprochait autre chose que d’avoir procédé à la répartition de l’aide dans cette châtellenie. L’arrivée à Gand, le 30 octobre, du comte du Rœulx, venant directement d’Espagne, les remontrances qu’il leur adressa en vertu de lettres de créance et d’instructions signées de la main de l’empereur, commencèrent à leur ouvrir les yeux. Ils consentirent alors à laisser la justice suivre son cours; ils autorisèrent le rétablissement de certains impôts; ils souffrirent que les échevins relaxassent tous ceux qui avaient été mis en prison pour cause de la réponse donnée à la reine en 1537[7]. Quand il ne leur resta plus de doute sur la venue de l’empereur, ils nommèrent douze députés, quatre de chacun des membres de la ville, chargés d’aller au-devant de lui, de le complimenter et de justifier leur conduite.

  1. Relation des troubles, pp. 26 et 28.
  2. Elle lui écrivait, entre autres, le 9 juin 1538 : « Il gist icy que V. M. soit mestre ou varlet... » Et le 27 septembre 1539 : « Il est nécessaire que V. M. se résoulde de laisser venir ses pays en gouvernement et régime de la commune et régner iceulx, ou que V. M. en demeure le prince... » (Archives du royaume.)
  3. Le 7 août 1539.
  4. Lettre de l’empereur à la reine du 15 septembre 1539. (Archives du royaume.)
  5. Le principal de ces ministres, le grand commandeur Francisco de los Covos, d’accord avec Granvelle, contribua beaucoup au parti que prit Charles-Quint.
        Du reste, aux Pays-Bas mêmes, où la venue de l’empereur était tant désirée, sa détermination de traverser la France excita des inquiétudes. La reine lui écrivait, le 15 octobre, qu’elle ne la trouvait « estre sans grant hasard. » Le 21 du même mois elle lui mandait qu’elle en avait donné connaissance aux principaux seigneurs et bons personnages étant auprès de sa personne : « Tous, ajoutait-elle, ont esté resjovz et confortez de l’espoir que donnez de vostre briefve venue, mais non sans grande crainte du hasard de vostre passaige, lequel ilz pèsent fort. » (Archives du royaume.)
  6. Lettre de Covos ee de Gianvelle à l’abbé de Saint-Vincent, ambassadeur en France, du 27 septembre 1539. (Relation des troubles, p. 249.)
  7. « Ceulx de Gand font plus de doulx à ceste heure, pensant par ce bout l’eschapper », écrivait la reine Marie à l’empereur le 16 novembre.(Archives du royaume.)